samedi 14 juin 2008

ANNIE MIDLIGE, première femme d’affaires des Hauts gatinois et mauriciens


UNE SINGULIÈRE TRAITEURE DE PELLETERIES

ET UNE COMMERÇANTE FORMIDABLE

ANNIE MIDLIGE (1864-1947)

Photo empruntée à la revue THE BEAVER,

publiée par la Compagnie de la Baie d'Hudson.

Hervé Tremblay n’en est pas encore revenu : pourquoi, diable, a-t-on coupé l’énorme sapin baumier qui trônait au-dessus des trois stèles funéraires de la famille Midlige, dans la partie protestante du cimetière de La Tuque ? Un arbre que l’aïeule, Annie, aurait « commandé » avant de franchir le Styx à bord de son canot d’écorce et de filer doucement vers le royaume de l’au-delà. Certes, le sapin ne possédait pas tout à fait la majesté des cèdres de son pays natal, le Liban, mais sous quel prétexte a-t-il été vilainement raccourci ?

Les trois pierres tombales de la famille Midlige dans le cimetière
de La Tuque. À l'arrière-plan, ce qui reste du sapin baumier.
Photo aimablement fournie par Hervé Tremblay.

En blague, au téléphone, j’ai malicieusement soumis une hypothèse, quelque peu farfelue, je suis le premier à le reconnaître, j’en conviens, à l’historien patenté de la Moyenne-Mauricie. À savoir qu’il y aurait lieu de se demander si, à voir l’état déplorable de la souche, l’auteur du sacrilège n’aurait pas été ce fier bûcheron à la formation gréco-vaticane, l’as « coupeux » d’arbres citadins, l’ancien maire André Duchesneau lui-même, qui fut l’un de mes confrères de collège au STR et un excellent joueur de basketball.

Le collégien André Duchesneau, célébrant éloquemment la victoire du STR, en finale du championnat des éliminatoires de la ligue de ballon-panier interscolaire de Trois-Rivières, vers 1960.
Extrait d’une photo de groupe parue dans Le Nouvelliste (Trois-Rivières).

Donc, à l'été 1988, à l’époque où il était maire de la ville, André (l’âge et la fréquentation commune du vénérable Séminaire des Trois-Rivières m’autorisent cette familiarité) avait en effet ordonné que l’on abattît (ah! l’admirable subjonctif imparfait que voilà, une espèce en voie de disparition, comme les derniers vestiges architecturaux de la reine de la Moyenne-Mauricie…) systématiquement tous les arbres qui bordaient le boulevard Ducharme. Leurs racines, soutenait-il, mais j’erre peut-être, c’est par la presse et les ouï-dire que j’appris la triste nouvelle), obstruaient les canalisations sousterraines. Comme s’il n’existait pas d’outils qui auraient pu dégager les arbres sans devoir les massacrer tous !

Ces deux cartes postales de l’école Saint-Zéphirin (pompeusement appelé alors "collège") illustrent la végétation qui ombrageait de son ramage timide un long segment de la principale artère latuquoise, rebaptisée « boulevard Ducharme », le 21 mai 1958. Les photos remontent sans doute à une ou deux décennies avant la naissance du maire susmentionné. On remarquera que deux drapeaux flottent au faîte de l’édifice. L’un porte le sigle ESSZ (École secondaire Saint-Zéphirin); l’autre est le drapeau de la France. Hervé Tremblay me mentionnait que la maison où est né Félix Leclerc, rue Tessier, et celles de plusieurs voisins arboraient le drapeau tricolore tandis que les anglophones installaient « leur » Union Jack.

Si ma mémoire est bonne, les premiers arbres s’élevaient juste passé l’emplacement de l’ancien tronçon de la voie ferrée qui coupait la grand-rue à la hauteur de la rue Saint-Maurice et prolongeait son tracé, à l’époque, jusqu’à l’usine, vers le nord-ouest, passant derrière le garage naguère propriété de Ti-Gus Dubois, l’empereur duplessistement bleuâtre de la décennie 1950, et sûrement de la suivante, longeant la rue Tessier où était naguère située la première gare de la ville, et leur élégante procession s’étendait jusqu’à la rue Bellevue.

Sans doute la motivation profonde du geste destructeur de ce magistrat à la vision peu sylvicole se trouve-elle dans le fait que le quidam, avant de devenir pédagogue et directeur d’école, porta brièvement soutane et ceinturon noirs. Il aura donc appris, grâce aux savantissimes exposés des érudits théologiens du Grand Séminaire de la rue Saint-François-Xavier, dans la cité de Laviolette, la vieille coutume du colon euro-canadien venu de l’Hexagone qui, sur le conseil éclairé des robes-noires de la Nouvelle-France, Jésuites, Récollets, voire Sulpiciens, se hâtait de raser les arbres autour de sa cabane, question de voir venir de loin le diabolique Iroquois et ses gros mocassins. Mesure préventive largement mise en pratique, pendant plusieurs générations par la suite. Aujourd’hui, le purin de cochon contribue dans une plus large mesure, à faire fuir Autochtones et citadins de la campagne. De l’œil comme avertisseur, on est passé à l’appendice nasal!

À l’époque, donc, de cet intempestif tronçonnage, le geste sacrificiel de l’ancien séminariste latuquois avait trouvé écho dans la presse montréalaise. Il avait eu droit à une mention peu honorable, encore moins amicale, dans la rubrique des « Lettres des lecteurs », dans la page éditoriale du quotidien Le Devoir.

J’avais bien aimé le titre : « L’homme qui coupait les arbres ». Je crois que la lettre était du syndicaliste Émile Boudreau, un grand bonhomme, auteur d’un délicieux portrait de La Tuque des années 1930, paru dans la revue Liberté sous le titre de « La rue des Anglais », écrit qu’il me faudrait bien retrouver et qui ferait la joie de dame Odette Leclerc , de la Berlin and Coos County Historical Society, qui s’intéresse à l’histoire de la Brown Corporation.


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Trêve d’élucubrations sylvestres, je me suis encore éloigné de mon propos princeps : Sanmaur. Mais pas tant que ça… La dérive à son charme…

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La pierre tombale de la matriarche Midlige,
au cimetière de La Tuque.
Photo aimablement fournie par Hervé Tremblay.

Et Annie Midlige, cette formidable (au sens premier du terme : « qui inspire ou est de nature à inspirer une grande crainte ») femme d’affaires, dans tout cela ? Elle fera l'objet de ma prochaine page.

J’ai signalé, dans l’un de mes précédents épisodes, que l’oblat Guinard mentionnait, dans ses mémoires, qu’il avait rencontré, au cours de ses missions en Haute-Gatineau, une « Syrienne » qui commerçait avec les Autochtones de la région. Dans les éphémérides de Jerry McCarthy, auxquelles je puise abondamment, celui-ci fait référence à un "magasin juif" [ma traduction], situé à Manouane. À l’époque, en 1919, cet ethnonyme désignait depuis longtemps un endroit situé à l’embouchure de la rivière du même nom, à peine à un kilomètre du cœur de l’ancien village de Sanmaur. L’endroit était appelé « Manouane Crossings » par les employés des postes de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH), car c’est à cette hauteur que deux ponts ferroviaires – toujours en place – traversaient successivement la Manouane et la Ruban. C’est là, d’après mes sources et mes lectures, qu’aurait été érigée la première gare ferroviaire du Transcontinental dans le secteur.

Donc, ce magasin de Manouane dont parle McCarthy, dès la première page de son carnet, était l’un de ceux qu’Annie Midlige avait établis le long de la voie ferrée du Transcontinental après avoir commercé amplement dans la vallée de la Gatineau, à partir d’Ottawa.

À Manouane, c’était sa fille Eva qui assurait la gérance, avec son mari, de cette succursale.

Je serais porté à croire que peu de gens, à La Tuque connaissent l’existence de cette prodigieuse femme dont la dépouille repose dans le cimetière de leur ville, en compagnie de plusieurs membres de sa famille, et encore moins qu’elle fut une femme d’affaires avisée. Moi-même, je n’aurai appris tout cela qu’en lisant un article d’un journaliste anglophone, Peter Leney, paru dans le Beaver, la revue de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et consacré à cette prodigieuse dame qui, devenue veuve, avait débarqué à New York, vers 1895. L’auteur y raconte comment elle a rapidement représenté une menace pour l’empire de la puissante CBH.

Ce sera l’objet du prochain épisode de mon prochain carnet qui devrait verser davantage dans l’histoire que dans l'expression parfois intempestive de mes humeurs...

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NOTES

Étonnant tout de même, ce geste d’abattage intensif des arbres de l’artère principale latuquoise de la part d’un type dont le patronyme, DuCHESNEau, contient, en son centre, les lettres qui forment la graphie ancienne d’un fort bel arbre : le « C H E S N E ». Et dire que le quercus (appellation latine du chêne) référait à un « arbre saint du druisme » ! L’étonnement provoqué par le geste posé pourrait toutefois être légèrement tempéré par cet autre terme qui désigne le même arbre, encore de nos jours, dans le Languedoc : le chêne « Yeuse » ! Alors, versons allègrement dans l’euphémisme et lançons un tonitruant « Bonyeu ! » pour donner le bénéfice du doute à l’as bûcheron descendu de la mairie, tronçonneuse à la main, qui était peut-être, après tout, « habilité » à procéder à l’installation d’un chantier forestier en plein boulevard Ducharme, y faisant une coupe à blanc…

Maire de la ville du 3 novembre 1985 jusqu’à sa démission, en août 1991, André Duchesneau n’a pas fait que dans déforestation intempestive. Il aura marqué sa ville de plusieurs innovations en matière d’urbanisme. Quand il tentera de renouer avec sa fonction de premier citoyen, en novembre 2003, les ouailles des paroisses latuquoises lui feront clairement savoir qu’elles lui préféraient son adversaire, Réjean Gaudreault, qui déjà, au milieu des années 1960, s’était impliqué au sein de la communauté. En effet, à l’occasion du temps des Fêtes, en compagnie de mon frère Robert et de quelques autres irréductibles écoliers de l’AEDES (Association des étudiants des écoles secondaires) insensibles au froid nocturne, le futur maire participait à installation, dans les rues du centre-ville et au parc Saint-Eugène, de l’éclairage multicolore de cette joyeuse période de l’année. Une fois installées, ampoules et projecteurs étaient agrémentés de glaçons fournis par le jet des boyaux du service d’incendie, manipulés par mon frère Jean. À l’élection de 2003, donc, Gaudreault raflera 73,5% des votes. Message évident.

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ÉMILE BOUDREAU (1912-2006)

« Né le 12 décembre 1915 à Petit Rocher, au Nouveau-Brunswick, Émile Boudreau a été tour à tour trappeur, bûcheron, colon et mineur à Normétal, en Abitibi. Dès 1944, il est élu secrétaire de l’Association des employés qui devient une section locale du Syndicat des Métallos en 1950. L’année suivante, il est nommé représentant des Métallos en Abitibi, puis coordonnateur régional des Métallos pour la Côte-Nord et la Gaspésie. Plus tard, il est nommé adjoint au directeur du Syndicat des Métallos et occupe le poste de vice-président du Conseil du travail de Montréal de 1973 à 1977. »

« Émile Boudreau a été de toutes les étapes qui ont mené à l’adoption la Loi sur la santé et la sécurité du travail en 1979. « Émile n’a jamais oublié la situation précaire que toute sa famille a subie lorsque son père a été victime d’un accident de travail à la Brown Corporation, à La Tuque. Il a continué à défendre des accidentés du travail même après sa retraite. Cette ténacité et cette constance dans ses convictions ont toujours suscité une vive admiration dans nos rangs. Nous le remercions du fond du cœur pour tout ce qu’il a fait », a ajouté le président de la FTQ. [Henri Massé] »

Source : http://www.ftq.qc.ca/modules/nouvelles/nouvelle.php?id=1599&langue=fr

En 1998, cet ardent syndicaliste, esprit progressiste, avait rédigé sa biographie : Un enfant de la grande dépression, autobiographie: un exercice narcissique pour en finir avec mes vieux démons!. Outremont, Québec, Lanctôt éditeur, 1998.

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À propos des formes colorées du patronyme Tremblay, Micheline Raîche-Roy, native de La Tuque, qui y a passé une partie de son enfance, une de ses tantes fut même la secrétaire d’Eugène Corbeil, m’en signale un : « Il y avait aussi, m’écrit-elle, Tremblay-pas-de-dépenses… Enfant, je pensais que ce monsieur n'avait pas de "dépense" (cabanon). Il était probablement près de ses sous. » Suave, l’humour involontaire des enfants!

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Les uniformes chez les Lee-Cantin – Trêve en guise de conclusion(s)!


Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ma mère, Maizy Lee, avait bien tenté de s’enrôler dans la Royal Canadian Air Force, mais les militaires du bureau de recrutement l’avaient trouvée bien maigrichonne.


Elle pose ici dans un uniforme de marin, sans doute emprunté à l’un de ses admirateurs, qui auraient été légion, soutenait-elle. Maizy était quelque peu affabulatrice sur les bords. Consolation ? Elle épousera, en août 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale, un certain Émile Cantin, de Saint-Romuald-d’Etchemin, un aviateur qui, à ma connaissance, n’aura sans doute pas beaucoup volé durant ce conflit. Mais il avait eu l'occasion de voir Winston Churchill se vider la vessie dans la nature, derrière une baraque de Valcartier. C'est du moins une anecdote qu'il se plaisait à nous raconter, souvenir de son passage héroïque dans les forces armées de George VI.