samedi 1 mars 2008

ATIKAMEKW DES HAUTS MAURICIENS

Recension minimaliste de deux précieux ouvrages sur les Amérindiens du Haut-Saint-Maurice




Mémoires de maîtrise et thèses de doctorat constituent trop souvent des sommes indigestes qui ne sauraient convaincre le profane à les dévorer. Aussi le lectorat des doctorants [1] et des doctorantes s'avère-t-il fort réduit. Il y d’abord le directeur de l’étudiant, bien sûr; ensuite, les membres du jury, qui s’attaqueront au candidat au moment de la soutenance de ladite thèse (mais je ne suis pas sûr que toutes ces doctes personnes poussent toujours le devoir jusqu’à approfondir la lecture de cette chose manuscrite qui fait partie de leur description de tâche), après y avoir débusqué quelques poux qui serviront de prétextes à leurs interventions, et, finalement, parfois, la mère de la future docteure ou du futur maître. Du moins, ma mère a toujours « soutenu » qu’elle avait lu ma brique. J’aime à le croire… Et j'aurai bien aimé qu'elle assistât (oh ! ce subjonctif imparfait en voie de disparition...) à ma soutenance de thèse) par un bel après-midi de juillet, dans un minuscule local de l'université autoproclâmée "canadienne", celle qui, actuellement, fait la chasse àux clients et clientes en terre québécoise à grands coups de panneaux. Je m'y conduisis comme un véritable avocat de la défense: la thèse fut défendue âprement, quasiment page par page. Ce fut un bel exercice. Cela valait le détour.

***

Propos préliminaires pour préciser à mon lectorat que j’ai lu, avec un immense emballement et un plaisir évident, deux essais anthropologiques aux titres évocateurs – La gestion de l’étranger et Entre l’assommoir et le godendart [2] – de Claude Gélinas sur les Atikamekw de la Haute-Mauricie, que mon fils, dans un élan de générosité spontanée a empruntés pour moi à la bibliothèque Morisset de l’Université d’Ottawa, geste élégant qui constituait une première dans sa carrière de bacheliérisant. Depuis, il a récidivé.



L’anthropologue Gélinas est un fameux chercheur qui s’est tapé un dépouillement systématique d’une panoplie de fonds d’archives, entre autres, ceux de la Hudson Bay Company, d’ouvrages et d’articles, et qui a su présenter ses découvertes de fort agréable façon. Une bibliographie étoffée complète chaque tome. Puis, j’y ai trouvé une pratique qui n’a pas manqué de me faire plaisir, puisque je m’y adonne moi-même depuis des décennies, et de façon plutôt intempestive : l'introduction massive de notes infrapaginales [3].



Avant ma lecture des deux bouquins de Gélinas, j’avais trouvé, dans un de ses articles, cette constatation qui venait en quelque sorte cautionner mes intentions de carnetier.
« Pour des raisons qu'il faudra un jour cerner », écrit Gélinas, « la Haute-Mauricie n'a jamais réellement suscité l'intérêt des chercheurs, et ce, dans pratiquement tous les domaines. On ne connaît que très partiellement sa géomorphologie. L'essentiel de sa faune reste à être inventoriée. Les études ethnographiques d'envergure sont rares et datent, pour plusieurs, du début du siècle. Enfin, l'histoire de la région reste à écrire, bien que des défrichages aient déjà été entrepris, surtout en ce qui a trait au passé des groupes autochtones.[4]»

Quand nous habitions à Sanmaur, on appelait « Têtes-de-boule » les Amérindiens de la réserve Wemotaci. J’y reviendrai. C’était tout de même un nom plus facile à transcrire. Voici ce que « prescrit » le Grand Dictionnaire terminologique de l’auguste Office de la langue française du Québec: note que je guillemette!


« L'Institut linguistique Atikamekw-Wasihakan du Conseil de la nation Atikamekw a rejeté au début des années 1970 le nom français Tête-de-Boule (du nom d'un poisson, cyprinidé : Pimephales promelas) pour prendre comme nom de peuple l'équivalent endogène de ce nom, celui d'Atikamekw (poisson blanc) ainsi orthographié. Cette forme est le plus souvent utilisée dans les textes administratifs en français et en anglais.
De son côté, conformément au principe de l'intégration phonétique, graphique et grammaticale des formes étrangères empruntées en français, l'Office québécois de la langue française privilégie la forme francisée Attikamek en évitant la finale kw, inusitée en français. La forme retenue, nom et adjectif, conserve la même graphie au féminin et au masculin et prend un s au pluriel. Exemples : un Attikamek, une Attikamek, les Attikameks, des travailleurs attikameks, une fête attikamek, des écoles attikameks.
La forme francisée Atticamègue (ou Attikamègue), plus rarement attestée aujourd'hui, demeure une forme historique utile mais ne peut être privilégiée puisqu'elle pourrait désigner, selon certains spécialistes, un autre groupe amérindien que celui des Attikameks. »

Si vous trouvez le propos corsé, passez voir ce que suggère TERMIUM, la banque de données du Bureau de la traduction, à Ottawa, sur ce que l'on doit faire en cas de pluriel ou de féminisation de noms autochtones : il y a autant de règles d’orthographe et d’accord qu’il y a de Premiers Peuples…

Photo  gracieusement fournie par Patrick McCarthy, le fils de Lorrain
Gélinas mentionne, à quelques reprises, le nom d’Henry Skeene, un des compétiteurs de la HBC qui s’était installé à La Loutre pour y faire la traite fourrures avec les Atikameks. Il pose ici, en compagnie de Lorrain, le fils aîné de Jerry McCarthy.



NOTES

1. Doctorant : néologisme bizarre, qui vogue dans le sillage de cette tournure qui veut qu'un participe présent accède, au moindre prétexte euphémisant, à la stature du nominatif, d'un substantif! Ainsi sourd est devenu un malentendant; un aveugle, un non-voyant… Faudrait-il également qualifier de « maîtrisants » et de « maîtrisantes » les pauvres hères bûchant à bras raccourci sur leur maîtrise?

2. La gestion de l'étranger. Les Atikamekw et la présence eurocanadienne en Haute-Mauricie, 1760-1870. Sillery: Éditions du Septentrion, 2000.
Entre l'assommoir et le godendart. Les Atikamekw et la conquête du Moyen-Nord québécois, 1870-1940. Sillery: Éditions du Septentrion, 2003.
Je ne suis ni ethnologue, ni anthropologue, mais le « littéraire » que je suis aurait aimé trouver, dans ces deux essais de Gélinas, qui se lisent d’ailleurs comme des romans, excusez le cliché, un index des patronymes, des toponymes et des ethnonymes. M’enfin, ce que j’ai pu y glaner comme renseignements pertinents à ma propre recherche de l’histoire des Hauts mauriciens compense amplement l’absence de cet outil de recherches.
La lecture des deux savants ouvrages m’a ancré dans cette certitude qu’il me faudra m’attarder à l’histoire de la traite des fourrures et à celle des Amérindiens du Haut Saint-Maurice pour en apprendre davantage sur la géographique de mon enfance.

On peut lire, en ligne, quelques pages de La gestion de l’étranger
http://books.google.com/books?id=eIQCuRGVilcC&pg=PA75&lpg=PA75&dq=weymontachie+%2B+guitard&source=web&ots=3lZTZonm2y&sig=k0HPAAro6kwtYgmuVyBKUK8iAr4#PPA74,M1.

3. On m’a même décerné un titre fort pompeux pour ma production massive de ces articulets explicatifs, titre confirmé par un diplôme : http://www.ecrivain.net/ferron/index.cfm?p=5_Ferronnerie/cantin_diplome.htm).

4. Citation tirée de «La traite des fourrures en Haute-Mauricie avant 1831. Concurrence, stratégies commerciales et petits profits». http://www.erudit.org/revue/haf/1998/v51/n3/005441ar.html
Norman Clermont, Ma femme, ma hache et mon couteau croche. Deux siècles d'histoire à Weymontachie (Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1977); Jean Baribeau, "Les missions sauvages du Haut Saint-Maurice au XIXe siècle", mémoire de maîtrise (théologie), Université du Québec à Trois-Rivières, 1978); Raynald Parent, "Histoire des Amérindiens, du Saint-Maurice jusqu'au Labrador: de la préhistoire à 1760", thèse de doctorat (histoire), Université Laval, 1985); Bernard Allaire, "Une économie en déséquilibre: les autochtones du Saint-Maurice, de la traite des fourrures à la construction des barrages hydroélectriques", mémoire de maîtrise (histoire), Université Laval, 1987); Maurice Ratelle, Contexte historique de la localisation des Attikameks et des Montagnais de 1760 à nos jours (Québec, Ministère de l'Énergie et des Ressources, 1987); Claude Gélinas, «Identité et histoire des autochtones de la Haute-Mauricie aux XVIIe et XVIIIe siècles: un regard sur le débat Attikamègues - Têtes de Boule», dans L'éveilleur et l'ambassadeur. Essais archéologiques et ethnohistoriques en hommage à Charles A. Martin, sous la direction de Roland Tremblay (coll. « Paléo-Québec » 27, Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, 1998).