samedi 12 janvier 2008

Un Américain à Sanmaur et à La Loutre en 1921



Ah, l’exotisme, celui qui attire par ici le touriste! Bien avant que les rutilants et modernes autocars bondés de Français, de Belges et de Suisses* ne se stationnent devant les Dollorama de la Mauricie ou que leurs passagers en descendent plus loin pour se ruer allègrement sur les sentiers de motoneiges d’icelle, nombreux furent les Américains à envahir nos forêts, soit pour les « régénérer » et nous procurer ainsi des djobbes, soit dans le but d’en acheter des parcelles qu’ils réserveraient à leurs propres loisirs. Réserves de pitounes, réserves de gibier…

Quelques-uns y vinrent toutefois simplement pour contempler les mœurs particulières de l’Homo quebecensis, cet « habitant » célébré à la fin du dix-neuvième siècle par le médecin poète Drummond**. Ce qui fut le cas d’un certain T. Morris Longstreth (1886-1975), de passage dans les Laurentides, qui aboutit un beau jour à La Loutre en passant par La Tuque et Sanmaur.



Pour découvrir le passage de ce fellow traveler en Mauricie, il aura fallu qu’atterrisse, dans ma boîte aux courriels, un message laconique des gens d’Ebay, m’annonçant la mise en vente, sur leur site d’enchères, d’un ouvrage sur la Laurentie, vieillotte prose, proposée par son vendeur à un prix ridicule. Et voilà qu’en consultant la présentation dudit bouquin, paru en 1922, je note qu’il comporte un « canto » consacré à …Sanmaur. Ciel!, un poète aurait célébré la gloire de mon village mythique… Mon compte Paypal salivait déjà et ma carte Visa me chauffait la partie gauche de mon postérieur, bien posé sur mon fauteuil de travail, les yeux ouverts au maximum sur l’écran de mon portable : il me fallait mettre le grappin sur cette chose poussiéreuse à tout prix.

Heureusement pour moi, je fus le seul « enchérisseur », comme ils disent sur Ebay France: j’emportai, haut les menottes, cet exemplaire sauvée d’une bibliothèque pour esprits belliqueux, sans doute ambulante, un livre, pas tellement rare, qui avait fait probablement beaucoup de chemin sans qu’on en ait lu, me semble-t-il, une seule page : la carte de prêt, intacte, au recto de la quatrième de couverture, était demeurée vierge. Les GI des « Headquarters – 4th Corps Area – U.S. Army », où avait été « stationné » [anglicisme de bon aloi dans le présent contexte] le précieux écrit, n’avaient vraisemblablement pas eu le temps de s’intéresser aux Laurentiens!

Le livre, THE LAURENTIANS, ne manque d'intérêt : il traite de plusieurs régions parcourues par son auteur. Il contient même un index, modeste mais utile pour les férus d'histoire régionale. J'en donnerai une meilleure idée plus tard.



Les carnets de Jerry McCarty dans tout cela ? J’y reviendrai très bientôt: le texte de mon vingtième épisode est prêt depuis quinze jours, mais je n’ai pas terminé l’identification des gens montés sur les draisines des photos que je voulais y glisser. Ce sera la matière du prochain épisode.

Celui-ci aura un lien direct avec les propos de l’Américain Longstreth : un certain J. H. Carter, le boss de La Loutre. En ce centième anniversaire de la naissance d’une grande dame, Simone de Beauvoir, j’en profiterai pour commettre un paragraphe socialisto-marxisant impliquant Carter, Américain lui itou!

La liaison, le rapprochement se feront sur le thème du Canuck, pas l’équipe de hockey, ni le paletot d’hiver, l’anorak chic, lors même qu’il y aurait un beau parallèle à tracer entre l’utilisation de ce sobriquet à connotation nettement péjorative et celui d’habitant, car même les anglophones de la naguère métropole canadienne sont toujours persuadés que le « H » doublement encerclé de "C" de l’écusson des Bienheureux Glorieux de la Sainte-Flanelle montréalaise signifie « Habitants ». "Go, Habs, Go", de reprendre les Céeffes de la belle enceinte sportive... J’imagine, comme le chante si admirablement Sylvain Lelièvre, qu’on est toujours l’habitant de quelqu’un, à défaut d’être son Iroquois. Mais j’anticipe…

Et puis, se terrait, dans la relation des voyages de Longstreth, une curieuse graphie, "Montdechingue", bizarroïde transcription, quasi phonétique, oeuvre d'un anglophone qui possédait quelques rudiments de la langue encore en usage dans l'Hexagone, que je voulais tout de même ajouter aux nombreuses autres du toponyme WEMOTACI. À ajouter, donc, au chapitre de mes élucubrations toponymiques, car elle risquerait de sombrer dans l'oubli : WEMOTACI et SHAWINIGAN, même combat lexicographique.

En attendant de revenir au lien routier entre La Loutre et Chaudière puis Sanmaur, voici de quoi avait l'air ce gros camion dont parle fréquemment McCarthy dans ses souvenirs et qui, durant près d’une vingtaine d’années, empruntera le trajet ferroviaire de La Loutre à Chaudière, entreprise parfois périlleuse.



Le vaillant « big truck » de la Brown Corporation, photographié à La Loutre, en 1926.


* Il doit bien s’en trouver quelques-uns de ces ressortissants suisses, à bord de ces beaux véhicules : ceux et celles que j’ai rencontrés dans cette neutre contrée n’avaient point de cesse qu’ils n’obtiennent de moi l’aveu sincère que j’habitais le plusse meilleur pays du monde, car ils avaient constaté par eux-mêmes ses splendeurs… ou alors se montraient-ils d’une extrême politesse à mon égard.


Portrait de Drummond par Coburn.


** DRUMMOND, William Henry. The Habitant and Other French-Canadian Poems. Illustrations de Frederick Simpson Coburn et introduction en français de Louis Fréchette. New York/Londres : G. P. Putnam's Sons, 1900 [c1897]. 137 p. ill.
Que voilà une belle description bibliographique!

Notes – Perspicace lecteur, vous aurez noté l’apparition, dans l’extrait du livre de Longstreth, du patronyme ROY. Il s’agit bien du même Oscar Roy, celui qui accueillit, deux ans plus tôt, Jeremiah McCarthy descendant du mixte. Second lien avec les mémoires de ce dernier : Roy reçoit l'écrivain et les deux dames qui l'accompagnent à leur arrivée à Sanmaur, à deux heures du matin, par le train de nuit du Canadien National, le C.N.R..

Le couple Beauvais, chargé de la gérance du Wayagamack Fish and Game Club, avait reçu l'Américain au lac Wayagamack, objet, lui aussi, d'un "canto".

Le monde est bien petit : j’ai reçu, de mon ami Richard Scarpino, Latuquois passionné d’histoire sportive, le numéro de téléphone de John McCarthy, le plus jeunes des fils du carnetier. J’ai donc retardé un peu la rédaction des dernières pages que je consacrerai à La Loutre : je vais en jaser avec John.