dimanche 22 février 2009



La Brown Corporation
dans les Hauts mauriciens

Petit supplément aux années 1919, 1920 et 1921
du journal de
Jeremiah McCarthy
LA LOUTRE (1919-1957)

[39]

Il est question de Jerry McCarthy à quelques reprises dans The Brown Bulletin (TBB), dont cette anecdote plutôt savoureuse, publiée en septembre 1921, qui le présente comme le champion des «lanceurs de fers à cheval» (ring-trowers). On y raconte que l’habile électricien touche-à-tout aurait été honteusement battu 21 à 1 par une jeune fille de Montréal, lors d’un match de ce jeu populaire dans les chantiers et qui n'est pas sans rappeler la pétanque des Français. Je soupçonne que le délateur a pu être John Carter, le patron de la Brown à La Loutre – pas encore le barrage Gouin –, mais ce pourrait être aussi bien un certain A. E. Rowell, qui se fait appeler «Captain». Considérant la signification de son patronyme (ROW WELL : littéralement, «ramer bien»), on peut supposer qu’il ait possédé cette propension talentueuse à mener ses lecteurs en bateau ! Et à bien mériter de son titre de «capitaine» ! À lire ses écrits, assez fréquents, et les photos – pas toujours authentiques – qu’il fournit au mensuel, je lui trouve un petit côté Capitaine Bonhomme [1], lui aussi un fameux baratineur et un spécialiste en récits fabuleux (voir, à la fin de l’épisode, le lien menant au site extraordinaire consacré au personnage incarné par Michel Noël).
Rowell, un habile touche-à-tout comme McCarthy, fut appelé à se rendre dans divers centres d’opération de la Brown, déplacements et séjours dont il sait tirer d’intéressants récits. Il a rédigé aussi quelques textes autobiographiques. Ce joyeux drille fera l’objet d’un passage à part dans le carnet.

Dans les quatre livraisons, bien minces, faut-il avouer, du Burgess Screenings (d'avril à juin 1919), s'il y a beaucoup de références à des ouvriers canadiens-français [2] tous et toutes embarqués dans la grande mouvance qui charroya des centaines de milliers d'ouailles, que les ultramontaines soutanes n'avaient pu retenir dans leur vieille paroisse surpeuplée de la vallée du Saint-Laurent, ou de l'Acadie, vers les villes industrielles de la Nouvelle Angleterre, un seul article concerne le Québec, et encore, il est plutôt vague, car en dépit de son titre évocateur, «Notes on Quebec River Driving», on n'y décèle aucun toponyme précis permettant de situer les opérations fluviales de la Brown Corporation. Il est possible, par contre, qu'un autre sujet québécois ait pu être traité dans l'un des numéros parus dans le cadre du volume premier du feuillet. Ceux-ci manquent dans la collection qu'Hervé Tremblay a reçu, en octobre 2005, de madame Odette Leclerc, de la Berlin & Coos County Historical Society, qui a ses archives et ses artéfacts au Moffett House Museum and Genealogy Center, lequel a pignon sur rue à Berlin, New Hampshire, qui s'intéresse particulièrement à l'histoire de la Brown. L'historien Tremblay s'était fait un devoir, le 30 août 2005, de piloter madame Leclerc et trois de ses amies à travers les lieux marqués par la présence de la Brown à La Tuque. Reconnaissante, madame Leclerc lui avait expédié, des Stétes, ce précieux corpus unique, rarissime, comme je l'ai déjà souligné. Après avoir séjourné presque six mois dans mon capharnaüm chelséan, il a repris la voie postale vers la Moyenne-Mauricie, une fois que j'en eu terminé le dépouillement intensif et effectué une numérisation minutieuse des parties consacrées aux activités de la papetière en terre québécoise.

Premier encadré identifiant la section du TBB consacrée aux activités
québécoises de la filiale canadienne de la Brown Company.
Toutes les reproductions tirées des livraisons du bulletin
l'ont été à partir des exemplaires de la collection d'Hervé Tremblay.

* * *
Ainsi, je voudrais compléter progressivement la chronologie de 1919 à 1929 par quelques commentaires, photos et éléments d’informations glanés pour la plupart dans les deux premières années du TBB et portant sur les opérations québécoises de la Brown au nord de La Tuque, région que je nomme Haute-Mauricie et de laquelle j’exclus la quasi centenaire capitale de la Moyenne-Mauricie. Par la suite j'amalgamerai les extraits pertinents du journal de McCarthy et du TBB et j'y glisserai mes commentaires pour créer une seule unité «historique», déroulant son fil chronologiquement.Tout commence ici, serais-je enclin à écrire.
«
La Tuque Falls and Rapids, P. Que.,»,
titre cette carte, probablement centenaire.

Un solide et double [sic] s’impose ici : virgule fautive et libellé en langue forestière [3] pour désigner deux phénomènes naturels pourtant bien francophones. La « Souvenir Post Card», publiée dans la «Valentine Series», fut « Published for the Quebec and Lake St. John Railway», nous rappelle que la St. Maurice Valley, avant de devenir la Mauricie, fut en presque totale partie développée par des intérêts britanniques et états-uniens, lesquels ont longtemps tonné dans l’antichambre des pouvoirs municipaux et provinciaux. Et même si, parfois, ce furent des «Canadiens» (devenus «Québécois» pendant la révolution dite «tranquille» dans les années 1960) qui ont pu former la majorité des actionnaires de certaines sociétés ferroviaires, celles-ci portaient toujours des noms bien anglaisés. D'ailleurs, la raison sociale de la première compagnie à s'installer La Tuque ne fut-elle pas la St. Maurice and Quebec Industrial Company. Faut-il s’étonner, then, que notre Félix ait attendu la présentation d’Octobre 70, ce belliqueux pageant modelé sur les grands congrès eucharistiques ensoutanés de la première moitié du siècle dernier, subrepticement monté par l’habile et sinistre metteur en scène d’Outre-Outaouais Pierre ELLIOT Trudeau, pour découvrir cette réalité historique et laisser s'envoler sa colère ?
Prise de la rive droite de la Saint-Maurice, cette photo date sans doute des années 1910. On remarque, sur la rive opposé, deux installations de la Brown reliées par une longue promenade en bois. L'endroit n'était guère propice à la baignade !
Source : collection Pierre Cantin, achat sur Ebay, 2008.
* - * - *

Donc, où commence la partie sud de la Haute-Mauricie ? Voilà un objet de dissension profonde qui nous oppose plaisamment, mon mentor latuquois, Hervé Tremblay et moi. Je soutiens que la ville natale de Félix Leclerc est située exactement au MILIEU de ce vaste territoire majestueux nommé MAURICIE. Dans «mon livre à moi», La Tuque fait partie, comme Grande-Anse, Fitzpatrick, La Croche, La Bostonnais, Lac-Édouard, de la MOYENNE-MAURICIE, puisqu'elle est installé en plein milieu de la naguère industrielle vallée. Aussi mon comparse Hervé aura-t-il les coudées franches d’exploiter ce territoire dans son prochain carnet sur La Tuque. Et je m’engage à ne pas piétiner ses plates-bandes ni lui piquer ses patates, une petite exception, toutefois, en parlant de pomme de terre : voir photo et commentaire en annexe… Il ne manque pas de matière. Moi non plus, d’ailleurs, et je devrai hacher mon stock sur la Haute-Mauricie en menues séquences.

1919
La Loutre : à l'époque, le plus gros barrage de rétention d'eau du monde.
Premier entrefilet consacré exclusivement au Québec.
TTB, juillet 1919.

L'écrivain Victor-Lévy Beaulieu ne serait sans doute pas très heureux d'apprendre qu'en septembre 1921 les gens de la Brown qui devaient se rendre dans le coin des installations de la Brown à Trois-Pistoles, devaient souvent pousser leurs raquettes «as far from civilization as St-John de Dieu», c'est-à-dire Saint-Jean-de-Dieu, village de son enfance, voisin de Saint-Paul-de-la Croix, où notre Balzac a vu le jour.

En novembre, un entrefilet précise que la coupe de bois a été, en 1918, de 48 millions de pieds. Ne serait-ce que pour la Haute-Mauricie ou pour l'ensemble des territoires exploités par la Brown au Québec.
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1920

Dans les années 1920 et 1930, la presse anglophone de la Mauricie, entre autres, le Shawinigan Standard et la St. Maurice Valley Chronicle, avaient des correspondants en poste à La Tuque, chargé de sollicité des annonceurs et de couvrir aussi l'actualité, le plus souvent les faits et gestes des employés cadres de l'usine et des dépôts de la Brown, de même que les sparages des notables. Parfois, mais plutôt rarement les actions et les déplacements des petites gens bien ordinaires, alors que ce sont elles qui «font» véritablement l'histoire, qui érigent, de leur labeur, l'édifice social. Voilà pourquoi, la consultation de ces espèces de carnets mondains, sociaux permet quelques fois de repérer le nom et la fonction d'employés de dépôts de la Brown : Sanmaur, Windigo, La Loutre et d'autres, mon intérêt, quoi !

Le TTB comptait d'abord et avant tout sur la collaboration d'employés de la compagnie-mère et de sa filiale canadienne pour remplir ses pages. Aussi le mensuel est-il d'abord un recueil d'anecdotes, de cocasseries, de petites choses recueillies dans le milieu de travail, à Berlin même, et autour, dans les chantiers de la Nouvelle-Angleterre. Le sport y occupe aussi une bonne place. Ensuite l'exotisme, l'inédit, le pittoresque, l'importance et l'originalité de certains projets vont stimuler la production éditoriale d'autres collaborateurs installés au Québec et les activités de la corporation «nordique» vont une plus grande place dans les pages du périodique. Parfois, surgissent des textes plus substantiels, au contenu davantage étoffé qui renseignent intelligemment sur l'époque.
En juillet, la Brown acquiert des concessions sur la rivière Bersimis. McCarthy sera appelé à y travailler.

Les 2 et 3 novembre, tenue de la « 7th Conference – Woods Dept. 1920», à Berlin. Y assistent venus du Québec, J. H. Carter, de Sanmaur (première occurrence du toponyme dans le TBB), ainsi que Joseph-Henri Pagé et Roch Lindsay, de Windigo. Ils sont sur la photo de groupe parue dans l'édition de décembre.

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1921
Une année riche en références au Haut-Saint-Maurice. L'inauguration du barrage Gouin a impressionné la rédaction du TTB; aussi plusieurs textes et photos sont-ils consacrés à ce dépôt, endroit privilégié par la suite par les pêcheurs et les chasseurs.
Voici en rafales, par ordre chronologique, une première séquence de la plupart des textes et des photos sur la Haute-Mauricie parues dans le TBB pendant l'année. Ce qui touche au capitaine Rowell sera inséré dans une petite section particulière.Première photo «québécoise» du TTB (février 1921), une énorme charge de foin [4] tirée par des chevaux menés par Eugène Veillette. C'est un envoi de Joseph Henri Pagé, le surintendant du dépôt de Windigo, qui, en 1925, fera une croisière outre-mer en compagnie de son frère Philéas et d'Eugène Corbeil, alors curé de La Tuque. Voir le carnet que Micheline Raîche-Roy (http://lbiographieeugenecorbeil.blogspot.com/) consacre à ce dernier. Le document produit par Pagé fera sensation et suscitera ce commentaire, publié le mois suivant.

Et cet autre, publié en avril, qui rappelle qu'en 1913, au même endroit, un certain Felix Burke (sans doute Félix Bourque ) aurait accompli un semblable exploit, la charge étant toutefois la moitié de celle de 1919. Le commentateur semble mettre en doute l'authenticité du cliché de Pagé, qu'il croit truqué !La livraison de mars du TTB proposent d'autres nouvelles du secteur de Windigo : elles seront présentées dans un prochain épisode du carnet.
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NOTES
[1] Il faut visiter ce très beau carnet consacré au personnage du Capitaine Bonhomme qu'incarnait si magnifiquement le sympathique Michel Noël. Je ne serais nullement surpris d'apprendre que le capitaine Rowell et lui aient eu le même alma mater maritime...http://capitainebonhomme.blogspot.com/2007/07/capitaine-bonhomme.html

[2] Patronymes canadiens-recueillis au fil de mon dépouillement du Burgess Screenings et du TBB. J'ai corrigé la graphie, souvent fautive de certains noms. Inventaire bien incomplet.
Grenier, Langlois, Dion, Nault, Perrault, Bélanger, Baillargeon, Roy, Séguin, Bouchard, Michaud, Bisson, Couture, Chaloux, Vaillantcourt, Laferrière, Thibodeau, Gendron, Cantin, Beaudoin, Lavoie, Paquet, Hamel, Vézina, Rancourt, Hamel, Desjardins, Leclerc, Arseneault, Morin, Lambert, Coté, Lozeau, Létourneau, Noël, Lefebvre, Poirier, Doucet, Lepage , Montminy, Bergeron, Devost, Bernier, Demers, Nadeau, Nolin, Bédard, Beaudet, Spénard, Veilleux, Rivard, Desrosiers, Tourangeau, Babin, Durand, Thériault, Bussières, Robichaud, Gravel, Boucher, Morel, Picard, Gravel, Fournier, Gosselin, Pelchat, Duguay, Beaulac, Turcotte, Caron, Cadoret, Paulin, Rhéaume, Laplante, Turgeon, Simard, Rousseau, Landry, Dubé, Boutet, Basile, Rouillard, Charest, Labonté, Coulombe, Rochefort, Légère, Carrier, Routhier, Marcoux, Lamontagne, Parisé, Lemieux, Fréchette, Falardeau, Favreau, Parent, Laroche, Brunelle, Gobeil, Dorion, Gaudreault, Royer, Lapointe, Tremblay, Dupuis, Caouette, Martel, St-Pierre, Champoux, Gurcotte, Labelle, Roberge, Laflamme, Croteau, Larocque, Surprenant, Valllière, Langlois, Duchesne, Drapeau, Lavallée, Grégoire, Beausoleil...
Les équipes de hockey de Berlin comptaient souvent plus de francophones que d'anglophones. Elles se mesureront à des équipes de La Tuque. Des quotidiens états-uniens importants, tel le New York Times, publièrent de brefs comptes-rendus de plusieurs des joutes disputées par celles-ci à New York et à Boston, entre autres.

[3] « Le plus extraordinaire de tous [ces arbres] était l'amélanchier. Dès le premier printemps, avant toute feuillaison, même la sienne, il tendait une échelle aux fleurs blanches du sous-bois, à elles seulement; quand elles y étaient montées, il devenait une grande girandole, un merveilleux bouquet de vocalises, au milieu d'ailes muettes et furtives, qui annonçaient le retour des oiseaux. Monsieur Northrop, ayant déboutonné son veston, tiré sa montre de la pochette de son gilet et regardé l'heure, pouvait dire dans sa langue forestière, et sans crainte de se tromper : ‘Ouhonnedeurfoule-dé ! Ouhonnedeurfoule-dé !’ »
– Jacques Ferron, L’Amélanchier, récit. Préface de Gabrielle Poulin,
édition préparée par
Pierre Cantin, Marie Ferron, Paul Lewis
(Montréal, VLB éditeur, collection «Courant», 1986, p. 29). L’été, du temps où nous créchions rue Kitchener, de 1957 à 1964, nous avions l’habitude, mon frère Robert et moi, d’aller cueillir, dans le flanc de la montagne tout près, et de savourer, ce petit fruit produit par l’amélanchier, que mon père appelait « petite poire sauvage ». Aujourd’hui, l’idée de ne pas lui en avoir rapporté quelques-unes me désole. Gourmandise et égoïsme d’enfants.
Mon père connaissait le nom de ce petit fruit – c'est l'appellation retenue par la très officielle poste royale, mais néanmoins canadienne, sur sa jolie vignette le célébrant – mais pas celui de son producteur. Je n’apprendrai le nom de cet arbre qu’en 1970, au moment de ma lecture du récit portant son nom comme titre. Depuis, j’en plante un partout où j’emménage…

[4] Micheline Roy me signale que cette charrette apparaît sur une photo, à la page 229 de Les pionniers de la forêt, le riche ouvrage de Sylvain Gingras. Elle a bien raison : c'est le même équipage, même disposition de la charge; la seule différence est l'angle de prise de vue. Bizarrement, le document figure dans la partie consacrée à l'entrepreneur Jean- J. Crête qui, sauf erreur, n'a pas fait chantier dans les environs immédiats de Windigo. Ce deuxième cliché aurait fait taire les sceptiques de Berlin, N.H., qui soutenaient que la vignette était truquée.

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* A N N E X E S * ***
Voilà, finissons-en de délacer nos bottines, pour nous retrouver
par cette petite communication de Richard Scarpino
à propos de ses oncles maternels, les cordonniers Richard.
Reproduction de la page de couverture de l'édition princeps
du récit de Félix gracieusement fournie par Micheline Raîche-Roy.

Pierre,
[…] au sujet du cordonnier latuquois Maurice Richard.
Émile Richard, cordonnier sellier, à Lac-aux-Sables, puis à Sainte-Adelphe, homme de métier, infirme depuis son jeune âge, faisait à peine 5 pieds de haut; mains larges, habiles, il transformait un rang de cuir en bottes, pantoufles, gants, etc. Il avait quatre garçons, dont deux possédaient des prénoms et nom célèbre, soit Maurice Richard. Cordonnier à La Tuque, il avait acquis les lieux de cet ancien Lafleur, rue Saint-François, face à l'ancienne épicerie Morrissette. Certains le trouvaient un peu prétentieux de se donner ce nom et ce prénom, mais ils étaient réels. C'était le Rocket des chaussures et, en plus, son frère, qui habitait à Lac-aux-Sables, était cordonnier, lui aussi, et se prénommait Henri; mais on ne dit pas si l'on le surnommait le « Pocket Rocket ». Mais leur nom et prénoms ne laissaient personne indifférent.
La famille Capano a longtemps exploité un petit restaurant, rue Saint-Michel. C’était un petit restaurant, pas prétentieux, pour les gens du coin, tenu par une famille italienne... Les Capano, c'était un peu comme la petite patrie de Jasmin. Tous se connaissaient : les familles Lortie, Cantin, Paré, Boissonneault, Leblanc, etc. Un petit coin tranquille… parfois, mais combien de bons moments et souvenirs pour la gang du coin des Capano.
P.-S. Pierre, j'ai rencontré Armand Capano, un type formidable, célèbre joueur de hockey des Loups; il m'a refilé des photos des années 50, avec Ti-Loup Bouchard, Claude Noreau, etc. Bref, un chic type.

Salut, Pierre.
À bientôt.
Scarpine
Scarpine, l’efficace cogneur – et apprenti sloggueure [*] – des Braves de La Tuque, 1976.
Photo : archives de Richard Scarpino
Directement, sous le bâton de l'habile batteur, j'ai cru, pendant quelques instants reconnaître la silhouette d'Émile Cantin, mon géniteur, ce qui aurait pu être très possible, car il fut longtemps impliqué dans la direction de ligues de baseball à La Tuque. Il était passionné de ce sport qui, je pense l'avoir déjà mentionné, l'amenait à «céduler» ses vacances annuelles durant les Séries mondiales, ce qui devait sûrement faire l'affaire de ses collègues de la Woodland. Toutefois, un échange téléphonique avec mon frère Robert, la mémoire vive du trio cantinien, m'a persuadé que ma vision paternelle était un mirage : Émile n'aurait jamais porté ses bésicles en public et n'avait pas la tête plate... D'ailleurs, m'a rappelé mon frère, notre paternel était plutôt hypermétrope que myope ! Et puis je me suis rappelé la date de la photo : été 1976. Émile et Maizy s'apprêtaient à quitter La Tuque pour retourner dans leur patelin natal, Saint-Romuald-d'Etchemin. En septembre, mon père allait prendre sa retraite après près d'une trentaine d'années de service pour la Brown et la C.I.P., à Sanmaur et à La Tuque. Mais, ils allaient revenir par trois fois en Moyenne-Mauricie par la suite...

[*] Richard m'a confié, non sans une pointe d'amertume, qu'il n'avait jamais réussi à expédier la balle par-dessus la clôture. Mais, m'a-t-il précisé, cela ne l'avait pas empêché de connaître, à une saison donnée, une tonitruante moyenne au bâton de plus de .500, parce qu'il excellait à« placer» sa balle au bon endroit, au bon moment, afin de permettre à son équipe de profiter de la conjoncture. De beaucoup supérieure, donc, à la marque établie par le légendaire Bostonnais Ted Williams.

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Bref et final retour sur la patate, dont les variations de prix préoccupaient mon père : cet original placard publicitaire, paru dans l'édition du 9 septembre 1953 du Shawinigan Standard. Dommage que la photo y soit si sombre, car j'y reconnais la stature et les traits de l'agriculteur lacabeaucien Rosaire Bouchard (au centre) – le proprio de notre logis du 737 de la rue Kitchener – livrant à la défunte Co-op de la rue Saint-Antoine, quelques-uns des fruits de ses gardens. Bouchard devait sûrement serrer son éternel cigare entre les dents ! Sur la photo figurent monsieur et madame E. Charland, ainsi que J. P. G. Caron et Lucien Jutras, qu'il faut deviner toutefois. Ah ! ces belles années où l'on n'avait qu'à composer quatre chiffres...

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Aparté toponymique