dimanche 27 septembre 2009

Sanmaur : mission, desserte et paroisse


I - Son église et son promoteur,

Édouard Meilleur

[53]

L’église de Sanmaur apparaissant sur une carte postale éditée au début des années 1950.

Mais où, Belzébuth, pouvait-on bien se la procurer ?

Wemotaci, vers 1910. Illustration tirée de l’ouvrage Mémoires d’un simple missionnaire [1].

On aura repéré l’Union Jack apprêté à la sauce Hudson Bay Company.

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Si l’établissement de dessertes ou de missions à Sanmaur (Saint-Gabriel-Lalemant) et à Wémontaching [Wemotaci] (Sainte-Rose-de-Lima) remontent à 1942, il y avait tout de même plus d’une centaine d’années que l’une des composantes de la vaillante armée de la faction militante de la toute-puissante Église catholique, surtout romaine, les intrépides Oblats de Marie-Immaculée s’acharnaient à «civiliser» les Amérindiens de ce vaste territoire quasi nordique de la Haute-Mauricie et peinaient à ramener dans le droit chemin les travailleurs forestiers canadiens-français obligés de bosser, les pauvres, sans les secours immédiats de la religion. La plus connue de ces soutanes à raquettes à avoir patrouillé sans relâche ces grands espaces fut probablement Étienne Guinard (1864-1965), qui a laissé d’utiles mémoires pour connaître cette région.


«En juillet [1942]», peut-on lire dans l’essai Le Diocèse de Trois-Rivières 1852-1952, «Mgr [Alfred-Odilon] Comtois bénit les chapelles de Sanmaur (S.-Jean de Brébeuf) [2] et de Manouan (S.-Gabriel Lalemant) dans le Haut Saint-Maurice.» Les rédacteurs, Georges Panneton et Antonio Magnan, se sont gourés : ils ont inversé les patrons des dessertes, car c’est bel et bien la statue du second qu’on juchera au-dessus du maître-autel de l’église qui sera inaugurée le 15 novembre 1947.

L’église et le modeste presbytère de Manawan [Manouan ou Manouane], déjà plus à l’Ouest, puisque la réserve se trouve en Mattawinie. C’est une carte postale de piètre qualité, production des Ateliers Désilets du Cap-de-la-Madeleine. On peut y lire au verso : «Église et presbytère de Manawan, via Sanmaur, Co. Laviolette». Date inconnue.

Je tiens la date de cette inauguration des précieuses éphémérides colligées par Jerry McCarthy, qui y signale que le 22 janvier précédent, il avait participé à la rénovation du vieil édifice à bureaux de la CIP, tout probablement situé au sud de la voie ferrée, pour en faire un lieu de culte temporaire. Le desservant dudit lieu, quant à lui, créchait dans un modeste logis fourni par la Brown Corporation, filiale québécoise de la quasi séculaire Brown Company, ancrée à Berlin, au New Hampshire.

Document gracieusement fourni par Patrick McCarthy, le petit-fils de Jerry.

Je suis persuadé que les Oblats, comme tous les membres en règle de la gent unie des ensoutanés, ont su tirer le maximum des instances britannico-étatsuniennes qui contrôlaient l’économie sociale et politique à la grandeur de la Mauricie.

Ainsi, à La Tuque, le gargantuesque Eugène Corbeil sera mêlé de très près à plusieurs des conseils de direction d’associations impliquant des anglos et des francos, tout en interdisant à ses brebis de fréquenter les «clubs neutres », entendre ici, le Brown Community Club, pourtant construit en partie pour les employés de l’usine, pour la plupart des Canadiens français. En siégeant à certains conseils, Corbeil contrevenait à une directive du grand boss Pie X, laquelle remontait à 1910 et décrétait qu’il ne «conven[ait] pas que les prêtres fassent partie d’une société où ils seraient sur le même pied que les laïques, car le rôle du prêtre est de présider». Rien de moins ! En 1945, toujours de Rome, nouvelle prescription : «… les prêtres ne doivent pas fréquenter les sociétés ou clubs neutres, genre Rotary Clubs.»

La Brown, of course, prendra bien soin de l’obèse pasteur latuquois, entre autres, en le célébrant d’éclatante façon par une page complète sur lui dans le Brown Bulletin [3].


L’une des premières vues de l’intérieur du temple sanmauresque, prise par un photographe de la Brown Co., Reserch Dept., Photo Section, Berlin, N. H., en 1949, du moins classée, le 21 novembre de cette année, dans les archives de la compagnie à son bureau de New York.

L’ornementation d’origine du temple était plutôt sobre. Léopold Lacasse, qui s’amènera à Sanmaur en 1952 et dont le mandat apostolique devait s’exercer auprès des Blancs du dépôt, tandis que Meilleur veillait, lui, au salut des Amérindiens et des coupeurs d’épinettes des alentours, aura tôt fait d’y procéder à des changements majeurs,

La Brown a dû cracher un hénaurme motton dans ce dossier de l’érection de ce temple papiste aux dimensions imposantes pour une si petite population qui ,de plus, n’y était que brièvement de passage (on commencera à fermer le village dès 1953), puis lors des achats massifs de Lacasse par la suite. Pour la compagnie, c’était une façon plus qu’efficace, en quelque sorte, de s’assurer de la loyauté de la véritable autorité du temps auprès de la classe laborieuse, celle des robes noires: en effet, rarissimes furent les soutanes qui auraient élevé la voix contre «la» compagnie. Bien au contraire. Les soldats du Christ qui se garrocheront avec ardeur aux confins de la brousse nordique pancanadienne auront, par exemple, beaucoup profité, dans le cadre de leur chasse frénétique aux âmes des païens autochtones, des services de la très protestante Hudson Bay Company. Il est vrai qu’une bonne part de la main d’œuvre ouvrière des chantiers d’opération québécois des Brown était constituée de catholiques, Canadiens français et Irlandais. À Québec, en Mauricie, en Gaspésie, sur la Côte-Nord et en Beauce, elle était majoritairement canadienne-française. En 1760, Londres, dans son intelligence colonisatrice, s’était rapidement entendue avec Rome : la majorité francophone ne donnerait pas trop de problèmes aux nouveaux colonisateurs si le clergé s’occupait du quotidien du cheptel.

Un décorateur et lobbyiste se pointe à Sanmaur :

Léopold Lacasse, o.m.i. raffiné

Léopold Lacasse, dans son élément. Sanmaur, vers 1953. Photo : Maizy Lee Cantin.

Un organisateur hors pair, l’oblat Léopold Lacasse, sut profiter des largesses protestantes de la Brown. Rapidement, dès son installation de résident, il apportera des changements majeurs à la décoration de l’église.

Le chœur de l’église : dépouillé, puis revampé. Quatre statues [5] ont été expédiées dans les limbes, remplacées par deux anges, seule est restée celle de Gabriel Lalemant, hissée un peu plus haut; des tringles supportent une espèce de rideau qui s’étale sur deux niveaux derrière l’autel et dont les couleurs illustreront les cycles du rituel; un élégant rideau masque les portes latérales et de multiples ornements ont été ajoutés à l’autel. Photo : Léopold Lacasse.


On ne saurait croire que les coûts rattachées aux opérations de rénovation intérieure tant du choeur et de la nef de l’église qu'aux travaux d’ébénisterie de la sacristie, à l’achat d’éléments décoratifs d’une splendeur peu ordinaire, à l’acquisition d’une richissime garde-robe de vêtements sacerdotaux les plus variés, à l’orgiaque et honteux déploiement ponctuel d’ornements et de fleur, eussent pu être réglés par les seuls paroissiens. Mais quid hoc ad aeternitatem ?


ÉDOUARD MEILLEUR (Holioke, Massachusetts, 1890 – Québec, 1974),

premier curé de Sanmaur

Autographe probable de Meilleur. Fournie par Jean-Guy Hamel, qui, en 1948, fut télégraphiste à la gare du Canadien National, et à l’occasion, chauffeur du curé. Il m’a gentiment numérisé les cinq photos suivantes.

Édouard Meilleur, le chargé d’âmes amérindiennes et forestières, en 1948, pose fièrement devant la «modeste» église dont il a supervisé la construction.

Meilleur en mission à Wemotaci.

Meilleur en compagnie d’un certain Pelletier, un garde-chasse, aux dires de certaines de mes sources.

À confirmer.

Meilleur et son éternelle toque carrée, sa barrette de service.

Meilleur devant le magasin général Thériault, situé tout près de l’église, à Sanmaur.


C’est en 1947, après avoir succédé à Étienne Guinard comme desservant de la région de Maniwaki, que Meilleur arrivera à Sanmaur, où il fait construire un presbytère et une église. Le coureur des bois s'était vu confier un vaste territoire, desservant 66 chantiers autour de Sanmaur et des postes le long de la voie du Canadien National, en plus de devoir se rendre à La Loutre. Le 23 mars 1953, il est assigné la paroisse de Saint-Sauveur, à Québec et quitte alors la Haute-Mauricie.


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Septembre 1946 : visite d’un gros canon !

Du 3 au 12 septembre 1946, un gros canon (facile jeu de mots, guère fortuit : le quidam avait été nommé, le 14 juin, «évêque des Armées canadiennes»), Maurice Roy, futur cardinal de Québec, mais alors simple cinquième évêque du diocèse, avait «fait la visite pastorale aux Missions indiennes et aux paroisses et dessertes du Haut-Saint-Maurice».

Un sombre dominicain et le curé de La Croche, Paul Rainville, entre autres (photo du haut), accompagnaient Roy dans sa tournée des Hauts mauriciens, en septembre 1946. Les deux fils de Jerry McCarthy figurent sur ces photos tirées des archives de celui-ci.


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À suivre : titre du prochain épisode :

Sanmaur : mission, desserte et paroisse

II. L’«incontinence florale» [4] de son second gérant de temple


Sanmaur, vers 1950. L'église, le dispensaire, deux duplex.

Guy Beaupré et Jean Cantin (en blanc), dans le parc adjacent aux logis des cols blancs de la Brown de Sanmaur. La photo permet de situer l’église et l’école par rapport au dispensaire et aux duplex habités par les Dubé, Carrier, Ricard et Bouchard. La cabanon noir, devant le duplex de droite abritait une borne-fontaine et des boyaux.

À noter les dangereuses balançoires, conçues pour des enfants de deux mètres !

Photo : Maizy Lee Cantin, octobre 1952.

Image d'un reportage de la télé de Radio-Canada, 1956.

Copie aimablement fournie par Jean-Pierre Ricard.

Vue de Sanmaur en août 1960, lors du passage du clan scout Jacques-Buteux, du Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières. À gauche, la façade du restaurant de Gaston Pothier, installé le long de la voie ferrée. Le campe du restaurateur est à l'extrême droite. On devine le toit du magasin général Thériault, derrière la cabane à l’avant-plan. Tout au fond, l'école: deux salles de classe et le logis des enseignants, à l'étage.

Photo : Pierre Cantin.

La photo de l‘intérieur de l’église, copie des archives de la Plymouth University, affichée sur son site Beyond Brown Paper.



[1] L'ouvrage est accessible en ligne, sur le site NOS RACINES :
http://www.ourroots.ca/beta/toc.aspx?id=2070&qryID=e8277b7b-85e8-4f20-9ddf-6ce6ba979830 .

[2] Une chapelle à Sanmaur, en 1942 ? Curieux ! S’agissait-il plutôt de celle en Wemotaci, en place depuis près d’une quarantaine d’années ?

[3] Micheline Raîche Roy m’aura scoupé sur ce sujet : voir « Les 25 ans de sacerdoce d’Eugène Corbeil célébrés par la communauté protestante de La Tuque», dans l’épisode du 12 avril 2009 de son carnet sur icelui. Elle y reproduit la page en question http://lbiographieeugenecorbeil.blogspot.com/ .

[4] Oh ! que non, cette géniale formulation que j’eus aimé inventer n’est pas le fruit d’une surchauffe de mes neurones : je l’ai malhonnêtement piquée au pharamineux Daniel Pennac, magistral prosateur, adepte de la haute voltige verbale, mais surtout grand humaniste, dont l’univers romanesque remplit mes heures de veille depuis plus d’un mois : sa Fée Carabine et son Benjamin Malaussène me tiennent en otage; toute fuite est impossible.

[5] Les disparus sont sainte Anne, le Sacré-Coeur, sainte Thérèse d'avila et saint François d'Assise. Mes sources ne s'entendent toutefois pas sur l'identité des deux derniers. Ont survécu, à gauche, Notre-Dame-du-Cap, choix logique d'une Marie, puisque les Oblats sont les gardiens du sanctuaire marial du Cap-de-la-Madeleine, maintenant fusionné à Trois-Rivières, Gabriel Lalemant, le patron des lieux, et saint Joseph. Où sont-ils passés , ces quatre-là ? À Wemontaci, sans doute, ou échangés ?

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