mardi 12 mai 2009

Manawan Crossing
Le triple enjambement de la Manouane, à la hauteur de Sanmaur, au beau milieu du vingtième siècle
* 45 *
Préambule : la route qui y mène et le plan d’eau

«Les fleuves lavent l’Histoire, c’est connu. Ils font disparaître
les corps, rien ne reste très longtemps sur leurs berges.»
- Jean Marie Gustave Le Clézio (Ritournelle de la faim.
Paris. Gallimard NRF, 2008)

Cette photo aérienne « résume » le lieu qui fera l’objet des commentaires des quelques pages de ce carnet sanmauresque : le pont ferroviaire, érigé par la Transcontinental, vers 1910, et la descente en gravier, qui menait au pont flottant et au traversier en direction de la rive gauche (ouest) de la rivière. À l’avant-plan, une parcelle de la route forestière R0-461 (25) Ouest, améliorée depuis.
Photo datant des années 1990, généreusement fournie par Paul Tremblay.


Le confluent des rivières Manouane et Saint-Maurice est sans doute le lieu sanmauresque le plus chargé d’histoire puisqu’on y signale que, dès le dix-neuvième siècle, il s’y fit des échanges de biens entre Amérindiens et traiteurs de fourrures et qu’en 1912 il y a eu l’installation de l’un des établissements de cette extraordinaire entrepreneure Annie Midlidge ,qui a eu le flair de déceler les avantageuses occasions d’affaires que lui offrait le projet de construction d’une ligne de chemin de fer pancanadienne vers l’Ouest.

C’est à la gare de l’endroit, qui s’y trouve déjà en ce début de siècle, qu’en juillet de l’année suivante s’amène, à bord d’un train spécial, geste généreux des « constructeurs du Transcontinental, M. M. Macdonell et O’Brien»[1], une smala ensoutanée, rapaillée par l’obèse curé latuquois Eugène Corbeil et son comparse de Sainte-Thècle , Maxime Masson, eux-mêmes faisant dans l’érection d’églises et de presbytères commandités allègrement par la bourse supposée sans fond de leurs ouailles bernées. Cette joyeuse croisière sanctifiante chez les Têtes-de-Boule est narrée dans un petit livre d’Arthur Joyal (voir les premières pages de mon carnet), relation complétée brièvement, dans ses mémoires, par l’oblat Guinard, pas très heureux qu’on n’y ait pas assez souligné son ardeur de robe-noire dispensatrice de principes civilisateurs …

Le premier nom attribué par des Blancs à cet endroit, sauf erreur, serait celui de Manawan Crossings, appellation utilisée par les commis de la Hudson Bay Company. Plus tard, les cols blancs et les surintendants états-uniens de la Brown Corporation continueront d’accoler des termes anglais aux réalités topographiques amérinidiennes de la Haute-Mauricie : ainsi, il y aura Chaudiere Landing, La Loutre Dam, Sanmaur Depot, etc. L’anglais, langue de travail, langue de communication.

Le farouest de Sanmaur

Jean, mon frère cadet, vers 1952, à bord du chaland de la Brown. Immédiatement derrière lui, à l’horizontale, d’abord le garde-fou du pont flottant, puis, tout au haut de la photo, le tablier du pont ferroviaire. Photo : Maizy Lee Cantin.

Cette berge de la Manouane constituait l’extrémité ouest de Sanmaur. Et là se trouvaient trois moyens de traverser la rivière : le pont ferroviaire du Canadien National, un pont flottant installé par la Brown Corporation à la fin des années 1920, semble-t-il, et un chaland opéré par cette compagnie, depuis la fin des années 1940..

À deux occasions, le 21 mai 2006 et le 3 novembre 2007, je me suis attardé en ce lieu. J’en en ai rapporté une série de photos qui aideront à visualiser ce lieu de rencontres historique, d’où l’on aperçoit clairement cette montagne qui a donné son nom à Wemotaci.

* * *
Pierre Cantin, au kilomètre 100 de la route forestière 25,
en direction sud-est, 21 mai 2006. Photo : Jean Cantin.
La 25, direction sud-est. 3 novembre 2007. Photo : Pierre Cantin.

La route forestière 25 qui, de nos jours, part de la rive droite (ouest) de la Saint-Maurice, un peu passé Fitzpatrick,, tout juste au nord de La Tuque, et qui mène au pont routier qui réunit Sanmaur et Wemotaci, après avoir traversé le «secteur» Manouane de l’ancien village de la Brown, est habituellement en meilleur état que bien des tronçons asphaltés de l’Outaouais québécois.

Cela s’explique sans doute par le fait qu’elle est la voie principale, la seule, dirais-je, menant aux deux gros chantiers de construction de barrages d’Hydro-Québec : le premier, à Chute-Allard, tout près de Wemotaci, en amont; le second, à Rapide-des-Cœurs, deux centrales qui vont perturber, deux fois de plus, la configuration de la Saint-Maurice.

Il faut donc rouler une centaine de kilomètres sur cette route de gravier pour arriver à Sanmaur, après avoir traversé au moins deux des affluents de la rive droite de la Saint-Maurice, dont la Vermillon (1) et la Flamand.

Pierre Cantin, au kilomètre 100 de la route forestière 25,
à l’embranchement de la route forestière R405 menant à La Loutre.
21 mai 2006. Photo : Jean Cantin.

Avant d’arriver à la structure métallique quasi centenaire du CN , la route longe la Manouane, à un kilomètre à peine avant de l’apercevoir, apparaît un modeste, mais solide, pont jeté sur une base de métal et dont le tablier est en bois. De construction récente, il donne accès à la 405 qui monte vers le nord, en direction du barrage Gouin, mais sans passer, comme autrefois, par Chaudière.

Mon frère cadet, Jean, et son hardi piquoppe chryslérien, au pont
permettant d’accéder à la route 405. 21 mai 2006.
Photo : Pierre Cantin.


Quelques images récentes de la Manouane

En amont du secteur Manouane

Vue du pont ferroviaire depuis le pont de la 405. 21 mai 2006.
La Manouane, en amont du pont routier de la 405. 21 mai 2006.

La Manouane, en amont du pont ferroviaire. 21 mai 2006.

En aval du pont ferroviaire

L’estuaire et, quelque part, au loin, la Saint-Maurice.
21 mai 2006. Photo : Jean Cantin

Ces troncs de bois, marquées par le temps et patinées par le courant, bien ancrés dans le sable et les tenaces graminées de la rive gauche de la Manouane, derniers vestiges de la structure de bois,à laquelle on arrimait un pont flottant, viennent contredire quelque peu la citation liminaire du Nobel de littérature 2008, le prolifique mais surtout prodigieux Le Clézio : parfois, sur les berges d’un cours d’eau, subsistent des traces d’activités humaines. Au loin, quelques sommets dénudés par un feu de forêt.
* * *
Écho du salut au Capitaine Bonhomme.

[1]

Merci à Gail Aubé, ddg, de m'avoir refilé cet artéfact latuquois.

Les registres paroissiaux ne sauraient intéresser que les férus de généalogie. Le libellé de certaines entrées se révèle parfois utile à l’historien. À preuve, cet acte de sépulture d’un travailleur immigrant italien, Dominico Vescio, décédé à l’hôpital du Vermillon (sic : lire une «tente»), le 7 septembre 1908, à 24 ans. On ne peut être que touché à la pensée du destin réservé à ce jeune homme, mort sans doute des suites d’un accident sur le chantier de construction de la ligne du Transcontinental. Disparaître si loin de ses proches, dans une contrée encore sauvage. On peut aussi se demander combien de ses compatriotes ont pu être victimes d’accidents dits « de travail»; combien de noms d'étrangers le registre des années de Corbeil contient-il encore? Dans l’Ouest, c’est par centaines que moururent les immigrants chinois peinant à achever la ligne qui permettrait au Canada de conserver les provinces convoitées par les voraces Étatsuniens.
L’Italien était à l’emploi de O’Brien & Martin.
Ambrose O’Brien sera l’un des promoteurs qui formeront l’équipe de hockey du Canadien de Montréal.
Locomotive sur le chantier de construction du Transcontinenal,
au nord de La Tuque, en 1909.
Archives du STR. Copie aimablement fournie par Micheline Raîche-Roy.