samedi 7 mars 2009

WINDIGO P.Q.


WINDIGO, P. Q.,
CAPITALE DÉFUNTE DU COMTÉ DE LAVIOLETTE
?
[40]

L’AMI, première livraison, décembre 1946.

Ultra rapides, mes contacts latuquois : dès la réception de la troisième livraison de L’AMI, ce trimestriel de création récente, publié par l’Imprimerie commerciale, vénérable institution latuquoise qui a dépassé le cap des 60 ans d’existence, à l’initiative du proprio d’icelle, le sieur Philip Valois, qui a agrippé les rênes de l’entreprise familiale de ses parents, Roland Valois et Constance Forrest, et de dame Carolyne Nadeau, la rédactrice en chef, ils se sont empressés de m’envoyer, par courriel, des scans des deux pages centrales où était reproduit en fac-similé le premier numéro d’un petit feuillet, lui aussi intitulé L’AMI, et rédigé, peut-on s’imaginer, à Windigo, alors le dépôt principal de la Brown Corporation sur la Saint-Maurice.
L’AMI, petite feuille éditée à Windigo en 1946. Recto.
Philip m’a raconté que sa mère, Constance Forrest –

dont le nom apparaît deux fois dans cette livraison
initiale – se souvient très bien du moment où on l’a imprimé.

Cet AMI, aux 62 ans bien sonnés, est un petit trésor historique. À ma connaissance, sauf quelques échos épars, répandus surtout dans les carnets sociaux de périodiques anglophones de la vallée mauricienne, on n’a guère rendu compte de la vie quotidienne des gens habitant dans ces petits hameaux parsemés ici et là en Haute-Mauricie et dans la partie australe de l’Abbittibbi au hasard des opérations de coupes de la Brown, de la C.I.P. ou de la Consol. Il y bien, dans certains récits autobiographiques [1] au tirage plutôt discret et restreint, quelques témoignages bien personnels sur la vie dans ces zones isolées, mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main.

Les rédacteurs, aux ambitions pachydermique et aux propos philosophiques, se donnaient comme tâche de faire de leur publication l’organe du vaste comté de Laviolette et de fournir, aux gens de La Tuque, entre autres matières, «un état complet et impartial de tous les événements locaux et différents projets» de la ville. «Nous sentons», poursuit l’éditorialiste J. L (John Lacasse ?) que le public de La Tuque n‘a pas cet avantage et ne l’a jamais eu dans le passé.» Ces visées sont également exprimées par son collègue anglophone, autre timide qui ne donne que ses initiales : B.U.L.

L’événement, car c’en est un (voyez la définition de ce terme, galvaudé par les média) que constitue cette découverte, s’est produit en même temps que le lancement de LatuKoiseries, le carnet que signe l’historien en titre de La Tuque, le vénérable Hervé Tremblay. Le précieux document windiguien vient ajouter de la substantielle moelle à mon carnet, mais il m’a surtout permis de reprendre contact avec Philip, après un demi-siècle, lequel m’a aimablement permis d’en reproduire le contenu.
D’ailleurs Hervé trouvera un sujet en or pour l’une de ses prochaines chroniques : un commentaire sur la galerie de personnages latuquois caricaturés dans L’Ami. Le dessinateur, au talent certain, a en effet superbement réussi à saisir ces gens. J’aurais reconnu, sans légende aucune, Oscar Fontaine, le propriétaire du cinéma Empire, et Frank Spain, premier grand marchand général de la place.

Ce qui m’a forcément intéressé, ce sont les entrefilets sur Sanmaur et Windigo : deux prénoms, en particulier m’ont rappelé des souvenirs et je suis en mesure d’identifier trois types dont le nom y est mentionné et fournir le faciès de deux d’entre eux.

En fouillant dans les archives photographiques que m’a léguées ma mère, j’ai mis la patte sur deux clichés, jaunies par l’âge, sur lesquels apparaissent deux des quidams nommés dans les «Racontars de Sanmaur» : Frank Rivest et Bert McGraw, des collègues de travail de mon père à l’époque, et aux dires de Maizy, de mauvaises fréquentations du fait qu’ils étaient des célibataires. Quant à ce Sarto, que l’on dit riche, c’est Bundock, le préposé à la centrale téléphonique du bled, qui souffrait d’un handicap à une jambe. Ma mère n’avait donc pas du tout en odeur de sainteté ces joyeux célibataires au coude diantrement bien lubrifié, qui avaient le don d’entraîner (c’était son terme) mon père dans leurs activités peu orthodoxes, rarement, paraîtrait-il, la pêche ou la chasse où alors ces pratiques «sportives» devenaient-elles des prétextes à des réunions festives. La lecture du prochain épisode de mon carnet devrait fournir une explication scientifique à la popularité de cette lotion capillaire Vitalis.

Sur cette photo de 1950, prise à Sanmaur, en face de la coukerie,
de gauche à droite : un inconnu, Bert McGraw, autre inconnu,
Émile Cantin et Louis Lemieux. À l’arrière, l’increvable familiale Plymouth aux couleurs de la Brown. Celle-ci achetait surtout des véhicules fabriqués par Chrysler,
dont des camions Fargo.
Archives de Pierre Cantin.

Autre photo datant de la même époque, quelque part dans les environs de Sanmaur. Louis Lemieux est à gauche, Frank Rivet, au centre,
et Burt McGraw, à droite. Archives de Pierre Cantin.

Voici une photo qui date tout probablement de 1949 et regroupe
la crème des hockeyeurs de Sanmaur

Je n’avais pu identifier que quatre de ces Browniens sur cette photo que m'avait envoyée ma cousine Suzanne Renaud. Voilà que la mémoire vive de Sanmaur, Paul Tremblay, vient une nouvelle fois à ma rescousse et me donne cette liste : John Lacasse, l’entraîneur; Roland Dubé, gardien; Paul Bouchard, capitaine, défenseur; Wilbrod Tremblay, (d), père de Paul; Jean-Paul Laflamme (d); Roland Leclerc, ailier droit; Patrick Renaud, centre; Jean-Marc Bergeron; (c); Frank Langlois, ailier gauche; Claude Audet, (a.g.); Jos Tardif, (a.d.); Albert Boily, arbitre. Paul, qui a cette photo, me précise qu'elle a été prise le 16 mars 1949, à Montauban-les-Mines (Saint-Alban, devenu Notre-Dame-de-Montauban), dans les Hauts du comté de Portneuf, près de Lac-aux-Sables et d'Hervey-Jonction. Sanmaur avait emporté le match 8 à 4 contre l'équipe locale, les Anacon Miners.



** ** **
Je commenterai longuement, dans ma prochaine page, la magnifique photo frontispice de mon carnet, oeuvre d'un professionnel, image impérissable du patelin.

AJOUTS – ANNEXES – APARTÉS
COMMANDITES AMICALES
PATRONAGE POSITIF
À BUT NON LUCRATIF

A

Les parents de Philippe, Roland Valois et Constance Forrest, étaient des amis de mes parents. Ici, madame Valois pose en compagnie de ses fils, Philip et Paul, au relais 4H, situé à l’époque à une vingtaine de kilomètres au sud, sur la route 19, maintenant la 155. Nous n’avions pas de voiture et madame Valois nous y emmenait en pique-nique, le dimanche après-midi.

Un beau jour, préoccupée par la possibilité que ses archives photographiques ne puissent être interprétées correctement, ma mère avait entrepris d'identifier les gens qui y figuraient. Sa griffe, dans l'encadré, rappelle ce souci.
Photo : Maizy Lee Cantin.

B

C’est d’André Nadeau, le grand-père de Carolyne, que ma mère acheta, en août 1970, l’unique auto qu’elle ait jamais possédée : une Ford Maverick Grabber, photographiée ici sous le pont de La Bostonnais. J’aurais dû vendre ce cliché, réalisé au pont Ducharme, à la Bostonnais, en août 1970, au service de publicité de Ford !
Sources. Annonce Nadeau : pages jaunes de l'Annuaire de Télébec, décembre 1970; photo : Pierre Cantin.

C

DEUX CARNETS ESSENTIELS AUX FÉRUS D’HISTOIRE LATUQUOISE

Du bon usage de la typographie virtuelle

Il faut compter, parmi ses lectures mauriciennes, la fréquentation intensive de deux carnets, qu’éditent Micheline Raîche-Roy, sur le curé fondateur de La Tuque, Eugène Corbeil, et Hervé Tremblay, sur la ville et ses gens.

La Tuque, automne 2004. Micheline Raîche-Roy et Hervé Tremblay
posent dans un décor historique, celui de pont suspendu,
l’un
des premiers du genre au Canada.
Photo : Monique Raîche.
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http://lbiographieeugenecorbeil.blogspot.com/


http://latuquehistoire.blogspot.com/
* * *
[1] J’ai déjà fait référence à l’ouvrage The Laurentians, de Morris Longstreth, dont l'épilogue est consacré, entre autres passages, à La Tuque, à Sanmaur et à La Loutre. Il y a sur Clova – mais c’est déjà l’Abbittibbi, paraît-il – un petit livre bigrement intéressant, écrit par Emelie Hubert, qui y a habité et où elle a travaillé un moment avec Paul Léon Rivard, ce médecin bien connu, lui-même objet d’une biographie, oeuvre de Bill Trent, et d’un film de l’ONF (http://www3.onf.ca/collection/films/fiche/index.php?id=2830). Près de la moitié de l'essai de madame Hubert est consacré aux années passées à La Tuque. Son mari était cadre à la division forestière de la C.I.P. C’est un ouvrage que m’a signalé Gaston Gravel et que j’ai pu obtenir de la fille de l’auteure.
Au hasard de recherches dans les banques de données des grandes bibliothèques nationales, j’ai déniché deux ouvrages d’une institutrice, Annette Billette, qui enseigna à Manouane et à Sanmaur, au début des années 1950, en compagnie de son mari, Guy Rivet (Rivest ?), le frère de Frank, dont il est question plus haut. Malheureusement, elle ne s’étend guère sur son passage à Sanmaur. S’ajoutent à ces essais, la fiction romanesque de deux récits de Normande Élie, où l’on peut quand même identifier quelques personnages sanmauresques. Tout cela, c’est du matériel à carnet. Je l’exploiterai, bien sûr.


Celles et ceux qui voudraient m'écrire devraient le faire en m'envoyant un courriel et non en passant par la rubrique «COMMENTAIRES», plus bas.
Mon adresse : cantinrevision@gmail.com

* * *

dimanche 22 février 2009



La Brown Corporation
dans les Hauts mauriciens

Petit supplément aux années 1919, 1920 et 1921
du journal de
Jeremiah McCarthy
LA LOUTRE (1919-1957)

[39]

Il est question de Jerry McCarthy à quelques reprises dans The Brown Bulletin (TBB), dont cette anecdote plutôt savoureuse, publiée en septembre 1921, qui le présente comme le champion des «lanceurs de fers à cheval» (ring-trowers). On y raconte que l’habile électricien touche-à-tout aurait été honteusement battu 21 à 1 par une jeune fille de Montréal, lors d’un match de ce jeu populaire dans les chantiers et qui n'est pas sans rappeler la pétanque des Français. Je soupçonne que le délateur a pu être John Carter, le patron de la Brown à La Loutre – pas encore le barrage Gouin –, mais ce pourrait être aussi bien un certain A. E. Rowell, qui se fait appeler «Captain». Considérant la signification de son patronyme (ROW WELL : littéralement, «ramer bien»), on peut supposer qu’il ait possédé cette propension talentueuse à mener ses lecteurs en bateau ! Et à bien mériter de son titre de «capitaine» ! À lire ses écrits, assez fréquents, et les photos – pas toujours authentiques – qu’il fournit au mensuel, je lui trouve un petit côté Capitaine Bonhomme [1], lui aussi un fameux baratineur et un spécialiste en récits fabuleux (voir, à la fin de l’épisode, le lien menant au site extraordinaire consacré au personnage incarné par Michel Noël).
Rowell, un habile touche-à-tout comme McCarthy, fut appelé à se rendre dans divers centres d’opération de la Brown, déplacements et séjours dont il sait tirer d’intéressants récits. Il a rédigé aussi quelques textes autobiographiques. Ce joyeux drille fera l’objet d’un passage à part dans le carnet.

Dans les quatre livraisons, bien minces, faut-il avouer, du Burgess Screenings (d'avril à juin 1919), s'il y a beaucoup de références à des ouvriers canadiens-français [2] tous et toutes embarqués dans la grande mouvance qui charroya des centaines de milliers d'ouailles, que les ultramontaines soutanes n'avaient pu retenir dans leur vieille paroisse surpeuplée de la vallée du Saint-Laurent, ou de l'Acadie, vers les villes industrielles de la Nouvelle Angleterre, un seul article concerne le Québec, et encore, il est plutôt vague, car en dépit de son titre évocateur, «Notes on Quebec River Driving», on n'y décèle aucun toponyme précis permettant de situer les opérations fluviales de la Brown Corporation. Il est possible, par contre, qu'un autre sujet québécois ait pu être traité dans l'un des numéros parus dans le cadre du volume premier du feuillet. Ceux-ci manquent dans la collection qu'Hervé Tremblay a reçu, en octobre 2005, de madame Odette Leclerc, de la Berlin & Coos County Historical Society, qui a ses archives et ses artéfacts au Moffett House Museum and Genealogy Center, lequel a pignon sur rue à Berlin, New Hampshire, qui s'intéresse particulièrement à l'histoire de la Brown. L'historien Tremblay s'était fait un devoir, le 30 août 2005, de piloter madame Leclerc et trois de ses amies à travers les lieux marqués par la présence de la Brown à La Tuque. Reconnaissante, madame Leclerc lui avait expédié, des Stétes, ce précieux corpus unique, rarissime, comme je l'ai déjà souligné. Après avoir séjourné presque six mois dans mon capharnaüm chelséan, il a repris la voie postale vers la Moyenne-Mauricie, une fois que j'en eu terminé le dépouillement intensif et effectué une numérisation minutieuse des parties consacrées aux activités de la papetière en terre québécoise.

Premier encadré identifiant la section du TBB consacrée aux activités
québécoises de la filiale canadienne de la Brown Company.
Toutes les reproductions tirées des livraisons du bulletin
l'ont été à partir des exemplaires de la collection d'Hervé Tremblay.

* * *
Ainsi, je voudrais compléter progressivement la chronologie de 1919 à 1929 par quelques commentaires, photos et éléments d’informations glanés pour la plupart dans les deux premières années du TBB et portant sur les opérations québécoises de la Brown au nord de La Tuque, région que je nomme Haute-Mauricie et de laquelle j’exclus la quasi centenaire capitale de la Moyenne-Mauricie. Par la suite j'amalgamerai les extraits pertinents du journal de McCarthy et du TBB et j'y glisserai mes commentaires pour créer une seule unité «historique», déroulant son fil chronologiquement.Tout commence ici, serais-je enclin à écrire.
«
La Tuque Falls and Rapids, P. Que.,»,
titre cette carte, probablement centenaire.

Un solide et double [sic] s’impose ici : virgule fautive et libellé en langue forestière [3] pour désigner deux phénomènes naturels pourtant bien francophones. La « Souvenir Post Card», publiée dans la «Valentine Series», fut « Published for the Quebec and Lake St. John Railway», nous rappelle que la St. Maurice Valley, avant de devenir la Mauricie, fut en presque totale partie développée par des intérêts britanniques et états-uniens, lesquels ont longtemps tonné dans l’antichambre des pouvoirs municipaux et provinciaux. Et même si, parfois, ce furent des «Canadiens» (devenus «Québécois» pendant la révolution dite «tranquille» dans les années 1960) qui ont pu former la majorité des actionnaires de certaines sociétés ferroviaires, celles-ci portaient toujours des noms bien anglaisés. D'ailleurs, la raison sociale de la première compagnie à s'installer La Tuque ne fut-elle pas la St. Maurice and Quebec Industrial Company. Faut-il s’étonner, then, que notre Félix ait attendu la présentation d’Octobre 70, ce belliqueux pageant modelé sur les grands congrès eucharistiques ensoutanés de la première moitié du siècle dernier, subrepticement monté par l’habile et sinistre metteur en scène d’Outre-Outaouais Pierre ELLIOT Trudeau, pour découvrir cette réalité historique et laisser s'envoler sa colère ?
Prise de la rive droite de la Saint-Maurice, cette photo date sans doute des années 1910. On remarque, sur la rive opposé, deux installations de la Brown reliées par une longue promenade en bois. L'endroit n'était guère propice à la baignade !
Source : collection Pierre Cantin, achat sur Ebay, 2008.
* - * - *

Donc, où commence la partie sud de la Haute-Mauricie ? Voilà un objet de dissension profonde qui nous oppose plaisamment, mon mentor latuquois, Hervé Tremblay et moi. Je soutiens que la ville natale de Félix Leclerc est située exactement au MILIEU de ce vaste territoire majestueux nommé MAURICIE. Dans «mon livre à moi», La Tuque fait partie, comme Grande-Anse, Fitzpatrick, La Croche, La Bostonnais, Lac-Édouard, de la MOYENNE-MAURICIE, puisqu'elle est installé en plein milieu de la naguère industrielle vallée. Aussi mon comparse Hervé aura-t-il les coudées franches d’exploiter ce territoire dans son prochain carnet sur La Tuque. Et je m’engage à ne pas piétiner ses plates-bandes ni lui piquer ses patates, une petite exception, toutefois, en parlant de pomme de terre : voir photo et commentaire en annexe… Il ne manque pas de matière. Moi non plus, d’ailleurs, et je devrai hacher mon stock sur la Haute-Mauricie en menues séquences.

1919
La Loutre : à l'époque, le plus gros barrage de rétention d'eau du monde.
Premier entrefilet consacré exclusivement au Québec.
TTB, juillet 1919.

L'écrivain Victor-Lévy Beaulieu ne serait sans doute pas très heureux d'apprendre qu'en septembre 1921 les gens de la Brown qui devaient se rendre dans le coin des installations de la Brown à Trois-Pistoles, devaient souvent pousser leurs raquettes «as far from civilization as St-John de Dieu», c'est-à-dire Saint-Jean-de-Dieu, village de son enfance, voisin de Saint-Paul-de-la Croix, où notre Balzac a vu le jour.

En novembre, un entrefilet précise que la coupe de bois a été, en 1918, de 48 millions de pieds. Ne serait-ce que pour la Haute-Mauricie ou pour l'ensemble des territoires exploités par la Brown au Québec.
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1920

Dans les années 1920 et 1930, la presse anglophone de la Mauricie, entre autres, le Shawinigan Standard et la St. Maurice Valley Chronicle, avaient des correspondants en poste à La Tuque, chargé de sollicité des annonceurs et de couvrir aussi l'actualité, le plus souvent les faits et gestes des employés cadres de l'usine et des dépôts de la Brown, de même que les sparages des notables. Parfois, mais plutôt rarement les actions et les déplacements des petites gens bien ordinaires, alors que ce sont elles qui «font» véritablement l'histoire, qui érigent, de leur labeur, l'édifice social. Voilà pourquoi, la consultation de ces espèces de carnets mondains, sociaux permet quelques fois de repérer le nom et la fonction d'employés de dépôts de la Brown : Sanmaur, Windigo, La Loutre et d'autres, mon intérêt, quoi !

Le TTB comptait d'abord et avant tout sur la collaboration d'employés de la compagnie-mère et de sa filiale canadienne pour remplir ses pages. Aussi le mensuel est-il d'abord un recueil d'anecdotes, de cocasseries, de petites choses recueillies dans le milieu de travail, à Berlin même, et autour, dans les chantiers de la Nouvelle-Angleterre. Le sport y occupe aussi une bonne place. Ensuite l'exotisme, l'inédit, le pittoresque, l'importance et l'originalité de certains projets vont stimuler la production éditoriale d'autres collaborateurs installés au Québec et les activités de la corporation «nordique» vont une plus grande place dans les pages du périodique. Parfois, surgissent des textes plus substantiels, au contenu davantage étoffé qui renseignent intelligemment sur l'époque.
En juillet, la Brown acquiert des concessions sur la rivière Bersimis. McCarthy sera appelé à y travailler.

Les 2 et 3 novembre, tenue de la « 7th Conference – Woods Dept. 1920», à Berlin. Y assistent venus du Québec, J. H. Carter, de Sanmaur (première occurrence du toponyme dans le TBB), ainsi que Joseph-Henri Pagé et Roch Lindsay, de Windigo. Ils sont sur la photo de groupe parue dans l'édition de décembre.

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1921
Une année riche en références au Haut-Saint-Maurice. L'inauguration du barrage Gouin a impressionné la rédaction du TTB; aussi plusieurs textes et photos sont-ils consacrés à ce dépôt, endroit privilégié par la suite par les pêcheurs et les chasseurs.
Voici en rafales, par ordre chronologique, une première séquence de la plupart des textes et des photos sur la Haute-Mauricie parues dans le TBB pendant l'année. Ce qui touche au capitaine Rowell sera inséré dans une petite section particulière.Première photo «québécoise» du TTB (février 1921), une énorme charge de foin [4] tirée par des chevaux menés par Eugène Veillette. C'est un envoi de Joseph Henri Pagé, le surintendant du dépôt de Windigo, qui, en 1925, fera une croisière outre-mer en compagnie de son frère Philéas et d'Eugène Corbeil, alors curé de La Tuque. Voir le carnet que Micheline Raîche-Roy (http://lbiographieeugenecorbeil.blogspot.com/) consacre à ce dernier. Le document produit par Pagé fera sensation et suscitera ce commentaire, publié le mois suivant.

Et cet autre, publié en avril, qui rappelle qu'en 1913, au même endroit, un certain Felix Burke (sans doute Félix Bourque ) aurait accompli un semblable exploit, la charge étant toutefois la moitié de celle de 1919. Le commentateur semble mettre en doute l'authenticité du cliché de Pagé, qu'il croit truqué !La livraison de mars du TTB proposent d'autres nouvelles du secteur de Windigo : elles seront présentées dans un prochain épisode du carnet.
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NOTES
[1] Il faut visiter ce très beau carnet consacré au personnage du Capitaine Bonhomme qu'incarnait si magnifiquement le sympathique Michel Noël. Je ne serais nullement surpris d'apprendre que le capitaine Rowell et lui aient eu le même alma mater maritime...http://capitainebonhomme.blogspot.com/2007/07/capitaine-bonhomme.html

[2] Patronymes canadiens-recueillis au fil de mon dépouillement du Burgess Screenings et du TBB. J'ai corrigé la graphie, souvent fautive de certains noms. Inventaire bien incomplet.
Grenier, Langlois, Dion, Nault, Perrault, Bélanger, Baillargeon, Roy, Séguin, Bouchard, Michaud, Bisson, Couture, Chaloux, Vaillantcourt, Laferrière, Thibodeau, Gendron, Cantin, Beaudoin, Lavoie, Paquet, Hamel, Vézina, Rancourt, Hamel, Desjardins, Leclerc, Arseneault, Morin, Lambert, Coté, Lozeau, Létourneau, Noël, Lefebvre, Poirier, Doucet, Lepage , Montminy, Bergeron, Devost, Bernier, Demers, Nadeau, Nolin, Bédard, Beaudet, Spénard, Veilleux, Rivard, Desrosiers, Tourangeau, Babin, Durand, Thériault, Bussières, Robichaud, Gravel, Boucher, Morel, Picard, Gravel, Fournier, Gosselin, Pelchat, Duguay, Beaulac, Turcotte, Caron, Cadoret, Paulin, Rhéaume, Laplante, Turgeon, Simard, Rousseau, Landry, Dubé, Boutet, Basile, Rouillard, Charest, Labonté, Coulombe, Rochefort, Légère, Carrier, Routhier, Marcoux, Lamontagne, Parisé, Lemieux, Fréchette, Falardeau, Favreau, Parent, Laroche, Brunelle, Gobeil, Dorion, Gaudreault, Royer, Lapointe, Tremblay, Dupuis, Caouette, Martel, St-Pierre, Champoux, Gurcotte, Labelle, Roberge, Laflamme, Croteau, Larocque, Surprenant, Valllière, Langlois, Duchesne, Drapeau, Lavallée, Grégoire, Beausoleil...
Les équipes de hockey de Berlin comptaient souvent plus de francophones que d'anglophones. Elles se mesureront à des équipes de La Tuque. Des quotidiens états-uniens importants, tel le New York Times, publièrent de brefs comptes-rendus de plusieurs des joutes disputées par celles-ci à New York et à Boston, entre autres.

[3] « Le plus extraordinaire de tous [ces arbres] était l'amélanchier. Dès le premier printemps, avant toute feuillaison, même la sienne, il tendait une échelle aux fleurs blanches du sous-bois, à elles seulement; quand elles y étaient montées, il devenait une grande girandole, un merveilleux bouquet de vocalises, au milieu d'ailes muettes et furtives, qui annonçaient le retour des oiseaux. Monsieur Northrop, ayant déboutonné son veston, tiré sa montre de la pochette de son gilet et regardé l'heure, pouvait dire dans sa langue forestière, et sans crainte de se tromper : ‘Ouhonnedeurfoule-dé ! Ouhonnedeurfoule-dé !’ »
– Jacques Ferron, L’Amélanchier, récit. Préface de Gabrielle Poulin,
édition préparée par
Pierre Cantin, Marie Ferron, Paul Lewis
(Montréal, VLB éditeur, collection «Courant», 1986, p. 29). L’été, du temps où nous créchions rue Kitchener, de 1957 à 1964, nous avions l’habitude, mon frère Robert et moi, d’aller cueillir, dans le flanc de la montagne tout près, et de savourer, ce petit fruit produit par l’amélanchier, que mon père appelait « petite poire sauvage ». Aujourd’hui, l’idée de ne pas lui en avoir rapporté quelques-unes me désole. Gourmandise et égoïsme d’enfants.
Mon père connaissait le nom de ce petit fruit – c'est l'appellation retenue par la très officielle poste royale, mais néanmoins canadienne, sur sa jolie vignette le célébrant – mais pas celui de son producteur. Je n’apprendrai le nom de cet arbre qu’en 1970, au moment de ma lecture du récit portant son nom comme titre. Depuis, j’en plante un partout où j’emménage…

[4] Micheline Roy me signale que cette charrette apparaît sur une photo, à la page 229 de Les pionniers de la forêt, le riche ouvrage de Sylvain Gingras. Elle a bien raison : c'est le même équipage, même disposition de la charge; la seule différence est l'angle de prise de vue. Bizarrement, le document figure dans la partie consacrée à l'entrepreneur Jean- J. Crête qui, sauf erreur, n'a pas fait chantier dans les environs immédiats de Windigo. Ce deuxième cliché aurait fait taire les sceptiques de Berlin, N.H., qui soutenaient que la vignette était truquée.

***
* A N N E X E S * ***
Voilà, finissons-en de délacer nos bottines, pour nous retrouver
par cette petite communication de Richard Scarpino
à propos de ses oncles maternels, les cordonniers Richard.
Reproduction de la page de couverture de l'édition princeps
du récit de Félix gracieusement fournie par Micheline Raîche-Roy.

Pierre,
[…] au sujet du cordonnier latuquois Maurice Richard.
Émile Richard, cordonnier sellier, à Lac-aux-Sables, puis à Sainte-Adelphe, homme de métier, infirme depuis son jeune âge, faisait à peine 5 pieds de haut; mains larges, habiles, il transformait un rang de cuir en bottes, pantoufles, gants, etc. Il avait quatre garçons, dont deux possédaient des prénoms et nom célèbre, soit Maurice Richard. Cordonnier à La Tuque, il avait acquis les lieux de cet ancien Lafleur, rue Saint-François, face à l'ancienne épicerie Morrissette. Certains le trouvaient un peu prétentieux de se donner ce nom et ce prénom, mais ils étaient réels. C'était le Rocket des chaussures et, en plus, son frère, qui habitait à Lac-aux-Sables, était cordonnier, lui aussi, et se prénommait Henri; mais on ne dit pas si l'on le surnommait le « Pocket Rocket ». Mais leur nom et prénoms ne laissaient personne indifférent.
La famille Capano a longtemps exploité un petit restaurant, rue Saint-Michel. C’était un petit restaurant, pas prétentieux, pour les gens du coin, tenu par une famille italienne... Les Capano, c'était un peu comme la petite patrie de Jasmin. Tous se connaissaient : les familles Lortie, Cantin, Paré, Boissonneault, Leblanc, etc. Un petit coin tranquille… parfois, mais combien de bons moments et souvenirs pour la gang du coin des Capano.
P.-S. Pierre, j'ai rencontré Armand Capano, un type formidable, célèbre joueur de hockey des Loups; il m'a refilé des photos des années 50, avec Ti-Loup Bouchard, Claude Noreau, etc. Bref, un chic type.

Salut, Pierre.
À bientôt.
Scarpine
Scarpine, l’efficace cogneur – et apprenti sloggueure [*] – des Braves de La Tuque, 1976.
Photo : archives de Richard Scarpino
Directement, sous le bâton de l'habile batteur, j'ai cru, pendant quelques instants reconnaître la silhouette d'Émile Cantin, mon géniteur, ce qui aurait pu être très possible, car il fut longtemps impliqué dans la direction de ligues de baseball à La Tuque. Il était passionné de ce sport qui, je pense l'avoir déjà mentionné, l'amenait à «céduler» ses vacances annuelles durant les Séries mondiales, ce qui devait sûrement faire l'affaire de ses collègues de la Woodland. Toutefois, un échange téléphonique avec mon frère Robert, la mémoire vive du trio cantinien, m'a persuadé que ma vision paternelle était un mirage : Émile n'aurait jamais porté ses bésicles en public et n'avait pas la tête plate... D'ailleurs, m'a rappelé mon frère, notre paternel était plutôt hypermétrope que myope ! Et puis je me suis rappelé la date de la photo : été 1976. Émile et Maizy s'apprêtaient à quitter La Tuque pour retourner dans leur patelin natal, Saint-Romuald-d'Etchemin. En septembre, mon père allait prendre sa retraite après près d'une trentaine d'années de service pour la Brown et la C.I.P., à Sanmaur et à La Tuque. Mais, ils allaient revenir par trois fois en Moyenne-Mauricie par la suite...

[*] Richard m'a confié, non sans une pointe d'amertume, qu'il n'avait jamais réussi à expédier la balle par-dessus la clôture. Mais, m'a-t-il précisé, cela ne l'avait pas empêché de connaître, à une saison donnée, une tonitruante moyenne au bâton de plus de .500, parce qu'il excellait à« placer» sa balle au bon endroit, au bon moment, afin de permettre à son équipe de profiter de la conjoncture. De beaucoup supérieure, donc, à la marque établie par le légendaire Bostonnais Ted Williams.

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Bref et final retour sur la patate, dont les variations de prix préoccupaient mon père : cet original placard publicitaire, paru dans l'édition du 9 septembre 1953 du Shawinigan Standard. Dommage que la photo y soit si sombre, car j'y reconnais la stature et les traits de l'agriculteur lacabeaucien Rosaire Bouchard (au centre) – le proprio de notre logis du 737 de la rue Kitchener – livrant à la défunte Co-op de la rue Saint-Antoine, quelques-uns des fruits de ses gardens. Bouchard devait sûrement serrer son éternel cigare entre les dents ! Sur la photo figurent monsieur et madame E. Charland, ainsi que J. P. G. Caron et Lucien Jutras, qu'il faut deviner toutefois. Ah ! ces belles années où l'on n'avait qu'à composer quatre chiffres...

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Aparté toponymique


vendredi 20 février 2009

Propos trinitaires tricotés serrés
ou
De quelques associations quelque peu arbitraires impliquant Maurice Richard et son frère Henri, et … un peu de bière, Chrysostome !


Mes propos de bottines m’ont valu quelques courriels de bon aloi, dont ceux de Richard Scarpino et Jean Gravel. Le premier me confie que sa mère est la sœur de … Maurice Richard, le cordonnier latuquois dont j'ai parlé dans ce carnet, et que celui-ci a un frère, prénommé … Henri, qui faisait aussi dans la semelle, mais à Lac-au-Sable. Il n’en fallait pas plus pour que je retournasse dans mon gros cahier à reliure à anneaux, où sont précieusement conservés quatre jeux complets d’icônes de valeureux hockeyeurs des années 1950, pour y puiser une rareté dont je parlerai plus bas, y en associer une autre, cocasse et plus accessible cependant (présentement on peut se l’offrir sur le site Ebay), certes, mais sur laquelle je détiens une information qui devrait peut-être frapper d’une stupeur extrême cette encyclopédie sur souliers à crampons et bottines à lame de la rue Castelneau, le susnommé Richard S. Mais je ne saurais en être tout à fait sûr : l’homme connaît son sport en yâble. Quant au second, il s’est fait sociologue pour me signaler une pratique toute discrète de la gent masculine à une certaine époque dans sa ville natale : la calage d’une p’tite bière, dans l’baquestore d'une épicerie, pendant que l'épouse fait les emplettes hebdomadaires pour sa smala.

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Les mocassins bien amérindiens de Jean Gravel,
« made in Haute-Mauricie »

suivi(s) de

La grosse bière de Chrysologue

(Récits décidément bien mauriciens de Jean Gravel)
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Gaston Gravel est, avec Hervé et Paul Tremblay, l’un des précieux collaborateurs de la première heure de mon carnet sanmauresque. Ce que j’apprécie hautement. Et voilà que son frère Jean m’expédie un fabuleux courriel, rédigé de main de conteur, d'une plume alerte, et comprenant deux parties, échos percutants à mon avant-dernier épisode. Il s'avère un fameux raconteur qui devrait lancer son propre carnet.

C’est donc avec un immense plaisir que je propose ici un ADDENDUM EMERITUM à cet épisode de mon carnet sanmauresque déjà paru sur les cordonniers de mon enfance, oeuvre du dénommé Jean qui, comme moi, fut l’élève de demoiselle Simone Boudreau, une institution au collège Saint-Zéphirin de La Tuque dans les années 1950, décédée, il n’y a pas tellement longtemps, à un âge plus que vénérable. Jean cite aussi, parmi les noms des pédagogues qui l’ont marqué, celui de René Tremblay, le frère d’Hervé.

Voici donc la quasi totalité du long courriel que m’a envoyé Jean, que je ne saurais trop remercier. Il me permet d’en faire partager la qualité et la saveur avec d’autres Latuquois et Latuquoises de notre génération, et de celle qui la précède sans doute. Jean a une plume alerte et un sens très vif de l’anecdote.

Jean Gravel, au défunt club Providence, quelque part dans la majestueuse
quiétude d’un lac de la Haute-Mauricie, à l’été 2007.
Photo fournie par le pêcheur. L’authenticité du poisson n’a pu être vérifiée par le responsable de ce carnet.
De nos jours, thanatologues et taxidermistes font des merveilles avec Photoshop.
Faut vraiment se méfier.

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Bonjour Pierre,

Je suis assidûment ton carnet sur ton blogue Sanmaur, où les anecdotes rapportées à la fois m'instruisent et me rappellent de bons vieux souvenirs.
D'entrée de jeu, sur tes propos du 24 janvier dernier, tu parles de tes mocassins et de certains artéfacts fabriqués par les Attikamekw de la réserve de Wemotaci.
Et bien, je te dirai que je possède un de ces artéfacts et c'est du vrai : il s'agit d'une paire de mocassins en peau d'orignal style pantoufle « made in Haute-Mauricie », probablement fabriquée par une Attikamekw, il y a de ça au moins 50 ans.
Ces mocassins, qui d'ailleurs sont toujours en bon état, font toujours partie de mes bagages lors de mes randonnées de chasse et pêche : ce sont mes « pantoufles de bois ». Ils m'ont été donnés par monsieur Larry Brown, ancien chef de police de La Tuque. Larry était ami de mon père et chacun était membre d'un club de chasse et pêche voisin dans le secteur Windigo. Plus précisément près de l'ancien camp forestier Charlebois, le long de la grande rivière Pierreriche Nord-Ouest.
Un certain printemps, au début des années 80, alors que Larry mettait de l'ordre dans son casier, au camp principal du club, il me les avait offerts en me disant : « Ces mocassins ont de l'histoire, tu sais. » Mais sans me la raconter, il ajouta : « Ils ont été achetés au 22, il y a de ça plusieurs années. »
À la fin des années 50, avec l'ouverture de nombreux chemins forestiers par la CIP pour aller chercher leur matière première, un vaste territoire s'est ouvert au public et c'est à partir de ce moment que plusieurs groupes de la classe moyenne ont fait la demande pour l'obtention de territoires exclusifs, « Club privé, » pour pratiquer la chasse et la pêche. Les mieux nantis, eux, avaient déjà leur territoire à côté de nos portes : le Wayagamack Fish and Game Club, le club à Ti-Gus Dubois, le Club Minomaquam, dans le secteur La Croche, le Club du Lac à la Ligne, secteur Bostonnais, etc. « No Tresspassing », et malheur à qui osait empiéter sur ces territoires !
Nous autres, les porteurs d'eau, il fallait se contenter des p'tits plans d'eau des alentours dont le Creek du Pendu, le Creek du Wayagamack, mais seulement en bas de la « dam », les étangs de Fitzpatrick.
Mon père fut un des membres fondateur du Club Providence et Larry Brown, du Club Dézamy, deux territoires voisins. Le premier tracé du chemin forestier qu'il fallait emprunter pour se rendre sur ces clubs débutait sur la rive ouest de la rivière Croche, plus précisément au p'tit canot d'Alphonse Lepage, juste avant la limite sud du club des Policiers de Montréal. On empruntait ce chemin cahoteux, rocheux et tortueux pour, après plusieurs heures, arriver enfin au seul point de ravitaillement sur ce trajet, soit le Dépôt du 22, rebaptisé plus tard le Relais 22 milles.

Le relais du 22 milles. Un lieu quasi mythique dont l’existence remonte aux années 1930. Source : Internet

Pourquoi 22 ? Parce que c'était à 22 milles du village de Windigo, site du dépôt principal; plus loin, il y avait le dépôt 45. A peu près tous s'arrêtaient au 22 soit pour prendre de l'essence, un p'tit snack ou autre genre de rafraichissement alcoolisé, pris à même la caisse dans la valise du « char » ou dans la boîte du « pick up » ! Rare était ceux qui possédait un « pick up »; dans ce temps-là, ce n'était pas courant. La plupart montaient avec leur auto et, avec l'état des chemins du temps, les pannes à l'huile défoncées et les « mufflers » arrachés étaient chose courante.

Marie-Thérèse et Sylvio Desbiens. Photo gracieusement fournie par Jean Gravel.

C'est un monsieur Desbiens, Sylvio, je crois, qui, employé de la CIP, assumait la gérance de cette halte routière. On y trouvait pas grand-chose et surtout pas de boisson. « Company Policy », mais le principal y était, quoi. Toutefois il y avait une « section souvenirs », je me rappelle que, sur une des tablettes, on y trouvait quelques artéfacts, dont mocassins, mitaines avec franges, mini raquettes et canots d'écorce. Ces p'tits chefs d'œuvre étaient fabriqués par les Indiens Attikamekw du coin, dont quelques familles demeuraient tout près du dépôt, dans des camps en bois rond non écorcé; on m'a dit qu'elles faisaient partie du Clan Boivin.
Ces artéfacts étaient du vrai, pas le genre de peccadilles qu'on nous offrait dans les foires et expositions du temps, dont entre autres les fameux panaches avec des grosses plumes bleu, rouge, vert et jaune. « Il n'y a pas un seul oiseau dans nos parages qui a des plumes de ces couleurs. » C'était sans doute la mode hollywoodienne du temps !
Mais ces mocassins n'ont pas été mes premiers. Je me rappelle en avoir déjà eu une autre paire en cadeau, alors que j'étais beaucoup plus jeune, 5-6 ans.
Au début des années 50, mon oncle Vianney Allard, ingénieur forestier, travaillait pour la Cie Howard Smith […] dans le secteur Oskelaneo où, là aussi, on retrouvait plusieurs familles indiennes. Donc, afin d'avoir les bonnes dimensions pour offrir des mocassins en cadeau à ses neveux et nièces, soit moi, mon frère Gaston et mes deux sœurs, il avait demandé à ma mère de lui envoyer l'empreinte de chacun de nos pieds, tracé sur une feuille de papier. Je me vois encore pieds nus, debout sur la table de cuisine, ma mère faisant le tour de mon pied avec son crayon au plomb : « Ça chatouillait. » Ce travail complété, et les empreintes expédiées, nous recevions, après quelques semaines, pour Noël nos « pantoufles d'Indiens » et mon père, une belle paire de mitaines à frange, que Gaston a portées longtemps, mais qu'il dit avoir perdues ou s’être fait voler. Mais ce dont je me souviens le plus, c'est l'odeur caractéristique de boucane que ces petits mocassins dégageaient. Ceux-là, je ne les ai plus.
J'ouvre une petite parenthèse sur une pratique que mon oncle Vianney m'avait racontée sur l'exploitation forestière de certaines compagnies dans le secteur Oskelaneo.
Les pitounes qui y étaient coupées, étaient écorcées sur place et expédiées par wagon, car certains moulins à papier n'avaient pas de tambour écorceur (« barking drum »). Le meilleur temps pour l'écorçage débutait avec l'arrivée des mouches noires, soit fin mai début juin, et ce, jusqu'en août. C'était la période où la sève était à son maximum dans l'arbre. Avant ou passé cette période, l'écorce était beaucoup plus difficile à enlever. Donc l'abattage et l'écorçage devaient se faire pendant ce laps de temps afin d'obtenir un rendement optimal. As-tu pensé comment les pauvres gars devaient être gommés, avec les mouches en plus ? Ouf !

Voilà, c'était l'histoire de mes mocassins !
Je peux dire qu'ils ont beaucoup voyagé, mais sûrement pas autant que les souliers de Félix !


La Tuque. Les rues Tessier et Commerciale, depuis les
lieux mêmes
de l’ancienne cordonnerie Ducharme, rue Scott.
Photo : Pierre Cantin, 22 mai 2006.

Pour ce qui est de Maurice Richard, le Rocket de la semelle, et de Chrysologue, le Marteleur de semelles, rien de plus vrai.
La maison des Lafleur était située pas loin de chez nous, juste sur le bord de la « track » et était sur notre trajet lorsqu'on se rendait au collège. Il y avait, dans la cour des Lafleur, un gros Saint-Bernard attaché à un bout de chaine. Il était énorme comparativement à sa niche et on se demandait bien comment il pouvait y entrer. L'atelier de Maurice, lui, était tout près de la maison des Lafleur et je me rappelle que, parmi les combustibles qu'il utilisait pour la chauffer, il prenait de vieux pneus, qu'il découpait en morceaux. Imagine la fumée au bout de la cheminée ! Au besoin, il donnait 25 cents pour un vieux « tailleur ». Je me souviens qu'avec Gaston nous lui en avions vendu un. Pour l'époque 25 cents dans nos poches, quelle somme !
Vue de la rue Scott, vers la rue Saint-Antoine, à partir de Tessier,
où le touriste trouvera l’hôtel
[un hôtel, vraiment ?] Beaudet, l’un des rarissimes établissements de ce type, sinon le seul, à La Tuque. À gauche, on devine la façade de brique brune de l'Hôtel Central, démoli en 2008. Et dire que, pendant des décennies, le nombre des hôtels dudit lieu fut presque cinq ou six fois supérieur à celui des temples du culte, toutes soutanes confondues. Et je n’oserais point comparer le taux de fréquentation de chacune des deux catégories d'établissements où s'assemblaient les bonnes gens.
Photo : Pierre Cantin, 22 mai 2006.

Quant à Chrysologue, il faut ajouter à son trajet l'Épicerie La Tuque, anciennement Beaudet et Boutet, coin St-François et St-Antoine. Dans les années 60, dans le temps ou les bananes étaient à 6 cents la livre, chose que je me rappelle encore, car j'en avais tellement pesé et marqué cet été-là; mon oncle Jean-Paul Allard, alors propriétaire de l'Épicerie La Tuque, m'avait engagé comme commis pour la période des vacances. C'est là, pour la première fois, que j'ai vu de mes yeux un bonhomme caller une grosse d'une seule traite, en quelques secondes, plus rien dans la bouteille, rien qu'un peu de broue et qui était ce « Chrysologue » ? Pas le temps de s'attarder et de laisser la cordonnerie fermée trop longtemps; la clientèle était trop importante. Mais j'y pense : c'est sans doute pour ça qu'on voyait si souvent, accrochée dans les portes de certains commerces, une pancarte avec l'écriteau « DE RETOUR DANS 5 MINUTES ».

Vue de la rue Commerciale. L’immeuble en deux teintes de gris
logeait la cordonnerie Ducharme. Sur l'espace vacant, à gauche,
s'élevait le garage Dodge DeSoto d'Auguste Dubois dont
parle Jean dans son courriel.
Photo : Pierre Cantin, La Tuque, 22 mai 2006.

Comme je le disais au début, tu m'as fait plonger dans mes souvenirs.
J'attends la suite de ton carnet.
Salut.
Jean.

* *
Extrait de la réponse de Jean à ma demande d’autorisation de publier sa prose dans mon carnet.

Pour ce qui est de mettre ma prose dans ton carnet, je n'y vois aucun inconvénient. Si cela peut permettre à d'autres de replonger dans leurs souvenirs comme je le fais moi en lisant ton carnet, alors, pourquoi pas.
Ah oui! J’avais oublié de te mentionner que les tavernes dans ce temps-là avaient un peu de compétition, car presque chaque épicerie (Épicerie La Tuque, Épicerie Philippe Allard, Épicerie Donat Côté, etc.)*** avait son p'tit bar clandestin dans l'arrière-boutique. On le trouvait, la plupart du temps, à l'endroit même où étaient empilées les caisses de bière. La clientèle se composait des habitués comme Chrysologue et les autres, de même que les maris de ces dames qui, pendant que ces dernières faisaient leur épicerie du vendredi soir, ces messieurs, « permission accordée », en profitaient pour en prendre une p'tite ou deux. C'était à la fois discret comme endroit et astucieux; on ne pouvait te coller l'étiquette de « coureur de taverne ».
[…]
À la prochaine,
Jean.

*** J’ai recensé pas moins de 17 épiceries dans le bottin de La Tuque Téléphone de décembre 1970.

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NOTES – APARTÉS – ANNEXES et TUTTI QUANTI

Stupéfiantes révélations sur le merveilleux monde de la collection des cartes de sport.

Puisque Jean a mentionné le nom de Maurice Richard, je me permets d’ajouter quelques commentaires sur un célèbre membre de la « branche » montréalaise de ce prestigieux patronyme. Si la carte de 1954 du Rocket m’était fort précieuse, il en était une autre, au format et à l’allure empreints de mystère, celle que l’on trouvait très, très rarement en guise de BONUS CARD, diraient aujourd’hui les revendeurs de ces artéfacts, dans certains paquets de Parkhurst de l’année 1955-1956, en plus des quatre cartes et de la palette de gomme rose que contenait chaque paquet, qui l’était tout autant. Je suis persuadé qu’il s’agit de la toute première carte-prime (expression consacrée par les linguistes radio-canadiens) de l’histoire de ces cartes de hockey modernes relancées en 1951 par la compagnie Parkhurst.
En effet, j’ai eu beau interroger les vendeurs, Internet, consulter les catalogues : personne ne semble connaître cette carte au fini glacé, en noir et blanc, sans données statistiques au verso, et ne portant qu’une seule inscription, laconique : « Henri ‘Pocket’ Richard (Forward) ». Il pose dans son uniforme du Canadien Junior. Il ne jouera pas avec son frère Maurice avant l’automne 1955 et sa carte recrue n’apparaîtra, bizarrement, que trois ans plus tard, numéro 4 du jeu 1957-1958 de Parkhurst. Même la riche (et fiable) Internet Hocket Database n’en mentionne pas l’existence…

Donc, voici, en primeur sur la Toile, la reproduction de cette VRAIE carte recrue du valeureux Henri Richard (à gauche), achetée pour un vieux 2 $ de papier à un vendeur ignorantin, au début des années 1980, et un autre exemplaire – affreusement recouverte de bouts rubans scotchés, brunis, séchés, qui m’était venu avec la collection complète de la saison Parkies 1954-1955, que m’avait vendu, à vil prix, un sympathique voisin… Je ne l’aurai eue entre les mains qu’une demi-heure : sa femme, professeur d’éducation physique, s’est pointée chez moi,
un bois 3 à la main, pour me remettre mon chèque et me faire savoir que c’était un trésor de famille auquel elle tenait ! J’ai mis quelques années à racheter les 100 cartes du jeu, à la pièce…
Un pan de mon enfance m’était revenu…

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Il y aurait d’ailleurs un bel article à rédiger sur les anomalies que l’on trouve sur plusieurs cartes de hockey. Par exemple, prenant prétexte à célébrer deux mes collaborateurs assidus, Hervé et Paul Tremblay, voici l’icône TOPPS 223, de la série de 1975, qu’on présente erronément comme étant la carte recrue de Mario Le Bleuet Tremblay. Effarouché sans doute par l’objectif de l’appareil photo de l’artiste engagé par la haute direction des Bienheureux Glorieux de la Sainte-Flanelle lors du camp d’entraînement de l’automne 1974, il a demandé à Gord McTavish, un de ses collègues de travail des Voyageurs de la Nouvelle-Écosse, à l’époque club-école du CH, de poser pour lui.


Gord McTavish, posant en lieu et place du célèbre dossard 14 du CH. La méprise tient sans doute à la chevelure crépue et soyeuse que se partageaient à l'époque les deux individus. Admirez, en effet, la coupe de l’Almatois Tremblay sur sa carte de 1976.

Ma belle-sœur Suzanne, une Tremblay de la branche maternelle almatoise, m’a raconté qu’en voyant cette pieuse image, supposément celle de son fils, qu’une belle-sœur lui avait montrée, la pauvre mère du jeune hockeyeur se serait évanouie en apercevant ce faciès à la Hulk, tout en poussant ce cri : « Mais douce Vierge Marie, qu’ont-ils fait à mon fils ? » Le saudit plombier (les anglos utilisent le terme grinder pour désigner ces hardis travailleurs des coins de patinoire) avait toujours fait croire à sa mère qu’il s’était fait frère mariste et missionnaire auprès des Autochtones de la Baie des Ha ! Ha !, à Gros-Mécatina, sur la Basse-Côte-Nord.
Sauf erreur, personne, depuis, n’a identifié ce type à l’allure patibulaire, et madame Tremblay croit toujours que son fils a dû subir les affres du martyre aux mains de ces payens, impression que pourrait confirmer la tuméfaction du visage de l'imposteur !
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La méprise en matière de cartes sportives n’est cependant pas nouvelle. Déjà, sur cette carte de Parkhurst de 1954, celui qui patine sous le fac-similé de la signature de Paul Masnick, un blondinet aux drus cheveux, c’est l’excellent plombier des belles années du CH, Floyd Curry, plutôt dégarni sur le front, qui, à sa retraite de maraudeur dans les coins de patinoire, poursuivra sa carrière avec la Flanelle tricolore à titre de responsable des déplacements des joueurs appelés à porter le flambeau « à l’étranger »; il était chargé de réserver chambres d’hôtel et billets d’avion pour les glorieux combattants lamés.
Question de bien illustrer la justesse de mon propos et d’accentuer la vigueur de ma découverte, voici le détail de deux photos dites «Bee Hive» : à gauche, le vrai Paul Masnick, cheveux et gilet pâles, et Floyd Curry. On notera aussi la graphie fallacieuse du patronyme de Curry : « Currie ». J'en ai d'autres, de ces ignominies : à la retraite, je me propose de soumettre à l'UQAM, un projet de thèse de doctorat sur ces anomalies. Archives de Pierre Cantin.
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Et diantre, je poursuis dans la tremblayeserie : un petit montage en geste de reconnaissance à l’endroit de deux gentils collaborateurs, inébranlables et généreuses mémoires externes de mon modeste carnet.


Et puis, n’étant point chiche, voici une carte recrue, très rare, celle d’Olivier Cantin-Potvin, surnommé le « Carbo » hullois. Un fana de la Flanelle montréalaise dès qu'il eut atteint l'âge de raison. Au grand désespoir de sa mère,d'ailleurs, qui voyait en lui un futur Arthur Rubinstein. Certes, habile au clavier, il était davantage dangereux autour du but des équipes gatinoises.


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P.-S. Que vient faire ce « Chrysostome» dans le décor ? C’est le patois – ponctué de deux solides accents circonflexes – que garroche, dans ses tirades, le personnage d’Émile, le compagnon d’infortune de Joseph Latour, l’anti-héros d’Un simple soldat de Marcel Dubé, puissant et émouvant classique de notre théâtre : l’exclamation m’est revenue à l’esprit par son assonance et sa graphie proches du prénom de notre petit cordonnier trottineur. Et puis la branche des Cantin, sur laquelle je demeure perché depuis plus de dix décennies, est originaire, je crois bien, de …Saint-Jean-Chrysostome !
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Prochain épisode : retour à la source de la Saint-Maurice et à quelques lieux mauriciens. J'étofferai les éphémérides des années 1919, 1920 et 1929 fournies par Jerry McCarthy à l'aide d'articles et de photos tirés du Brown Bulletin. Long processus de collecte de données, mais faut ce qui faut...