lundi 31 mai 2010



Un prix Nobel … de [à] La Tuque ?
Mais pas du tout, il y a erreur !
Et non, Chaudière-sur-Saint-Maurice
n'est [n'était] pas situé dans la
région de La Tuque...
[58]
La manchette du quotidien Le Soleil, de Québec.
Récemment, un jeune journaliste du quotidien Le Soleil de Québec, Jean-François Cliche, écrivait qu’un des Prix Nobel de physique pour 2009, Willard Boyle, était passé par La Tuque, sans trop préciser le sens de ce verbe d'action. Ce physicien doué, d’après un de ses contemporains, John McCarthy, dont les parents étaient des amis intimes des Boyle, était certes passé (au sens premier du terme) souvent «par» la Reine de la Moyenne-Mauricie … mais à bord d’un wagon de ce convoi du Canadien National qui, pendant des décennies, a fait la navette quasi quotidiennement entre Cochrane, en Ontario, et Hervey-Jonction, là où se faisait l’arrimage des deux trains de passagers en provenance de Montréal et de Québec.
Pour se rendre à Chaudière, naguère un dépôt (en français soutenu on écrirait une «base») de la papetière Brown Corporation, sis alors à plus de 150 kilomètres de La Tuque, où le lauréat a passé une partie de son enfance, il lui fallait, bien sûr, «passer» par cette ville, puis descendre du train à Sanmaur, aux petites heures du matin, pour emprunter ensuite la voie fluviale, celle de la Saint-Maurice !
Que le journaliste écrive que Chaudière faisait partie la région de La Tuque, c’est comme si on soutenait que cette petite ville appartenait à la région de … Trois-Rivières. Légère méconnaissance de la géographie mauricienne, quoi !
M’enfin, il n’y a pas de quoi en faire un plat ! L’important, c’est que le nom de ce lieu de transit d’hommes des bois et d’équipement forestier jusqu’à la fin des années 1940, mais aujourd’hui disparu, Chaudière, ait été mentionné. C’est marquer l’importance, dans le cas du célèbre inventeur du laser continu, et co-inventeur de l’image numérique, ce qui n’est pas rien, des lieux de notre enfance. De plus, cette mention du toponyme venait me rappeler que je n’avais rien écrit dans mon carnet sanmauresque depuis décembre 2009…
Voici donc, pour l’instant, une petite chronique sur les Boyle, nourrie, comme plusieurs autres, des éphémérides de Jerry McCarthy, source primaire majeure de mon carnet, et d’une enrichissante conversation téléphonique (28 mai) avec son fils, John, aujourd’hui résidant de Québec, et avec qui j’ai pu communiquer grâce à Richard Scarpino qui m’a fourni ses coordonnées.
Les BOYLE en Haute-Mauricie
Photo tirée du site du Musée des sciences et de la technologie du Canada, à Ottawa.
Boyle y signe un petit texte autobiographique.
Willard Boyle, fils du docteur Ernest Boyle et de Bernice Dewar (qui lui donnera tous ses cours du primaire et quelques-uns du secondaire, que ses amies surnomment«Bonnie»), précise qu’il serait arrivé à Chaudière, en Haute-Mauricie, à l’âge de trois ans, donc, en 1927.

Toutefois, Jerry McCarthy, à moins qu’il ne confonde les années, écrit, dans ses éphémérides, que le prédécesseur du docteur Ernest Boyle, un nommé Prud’homme, aurait démissionné de son poste de médecin de la compagnie Brown le 13 novembre 1930, et qu’il aurait été presque immédiatement remplacé par Boyle, lequel s’installe d’abord au lieu dit le «15 Milles», sur la rive droite de la Saint-Maurice, 15 miles étant la distance le séparant de Sanmaur [1], en aval, à la hauteur de la réserve amérindienne de Wemotaci. Cette minuscule agglomération n'était alors accessible que par bateau. Elle était l'une des bases de la compagnie. Plus tard, on y installera un service de traversier.
Par la suite, la famille se fixe à Chaudière. C’est de là qu’elle part, le 3 mai 1933, pour transporter ses pénates à La Loutre, au camp 36, précise McCarthy, où elle résidera jusqu’au 29 décembre, date à laquelle elle retourne à Chaudière.
Dans l’ordre habituel, à l’arrière : Bernice Dewar, Ernest Boyle, Charles LeTemplier, Jerry McCarthy. À l'avant, Catherine Carter, la fille du gérant de la Brown, à La Loutre, et Azilda Giard, l'épouse de McCarthy
Le garçon, à la gauche d’Ernest Boyle, c’est le jeune Willard. Il a neuf ans. On le surnomme « Billy ».
À gauche, chapeau appuyé sur son oreille droite, Jerry McCarthy.
Les deux photos sont extraites des documents laissés par McCarthy. Elles ont été prises à La Loutre, le 6 août 1933. Aimablement fournies par Patrick McCarthy.
Les McCarthy et les Boyle deviendront rapidement des amis très proches et, une fois que le médecin et sa famille auront quitté définitivement la Haute-Mauricie, à l’automne de 1944, pour s’établir à Montréal, ils se reverront souvent malgré l’énorme distance les séparant.
Quand les deux fils de McCarthy seront pensionnaires à Berthier et à Montréal, les Boyle leur rendront visite et les accueilleront chez eux.
Voici quelques entrées consacrées à Ernest Boyle et à sa famille, tirées des éphémérides de Jerry McCarthy.
17 juin 1934 : excursion de pêche au lac Bennett, près du barrage Gouin, avec les Boyle. C’est McCarthy qui les ramène à Chaudière. À l’époque, on utilise des camions dont les roues ont été adaptées pour circuler sur le vieux chemin de fer construit par la Fraser Brace en 1915.
Le 7 janvier 1936, Boyle se rend à La Loutre enlever le plâtre de Jerry McCarthy qui s’était fracturé un pied.
Quelques jours plus tard, le médecin se rend à Sanmaur pour y soigner une dame Mongeon.
Le 2 août, McCarthy et un collègue de travail, de passage au dépôt Chaudière, couchent dans le bureau de Boyle. Les deux hommes se sont pratiquement fait dévorer par les brûlots, note McCarthy !
Le 2 décembre, McCarthy installe les fils électriques dans la maison du docteur Boyle qui profitera du service quand le courant sera disponible, le 8 suivant.
Le 25 janvier 1939, Boyle vient soigner McCarthy à La Loutre.
Le 23 décembre 1940, un incendie ravage le garage de la compagnie à Chaudière. La voiture de Boyle est une perte totale.
Le 30 septembre 1944, fête d’adieu pour les Boyle à Sanmaur.
1er janvier 1952, les Boyle, venus passer les Fêtes à La Loutre, assistent à une soirée dansante au club social de l'endroit.
Le 11 février 1954, Dod, l’épouse de McCarthy se rend à Sanmaur pour y rencontrer les Boyle.
Du 18 au 21 avril, Jerry McCarthy est soigné dans un hôpital de Montréal pour des problèmes d’estomac. Le 22, il est reçu chez les Boyle.
Le 17 août 1959, Boyle et deux de ses confrères font un voyage à La Loutre. Ce sera la dernière présence de Boyle au barrage Gouin, car cette année-là, McCarthy sera muté à La Tuque, puisque la Canadian International Paper, qui a acheté les installations de la Brown en décembre 1954, y a rapatrié tous les services de sa division forestière.
On trouvera, dans Internet, plusieurs articles sur le prodigieux fils du docteur Ernest S. Boyle, dont celui-ci
complété par une photo, sans doute des années 1930, qui illustre la voie de chemin de fer érigée en 1915 par la Fraser Brace, l’entrepreneur général lors de la construction du barrage à la Loutre, pour y transporter le matériel depuis le débarcadère de Chaudière. Le matériel, arrivé à Sanmaur par train, était transféré sur des barges remorquées jusqu’au pied des rapides Chaudière, sur la Saint-Maurice, obstacle infranchissable par bateau.
C’est dans un camp semblable qu'en 1947 et en 1948 ma mère, mon frère Robert et moi, et par moments, mes oncles Steven et Donald Lee, et leur sœur Juanita, nous habiterons avant d’avoir accès au logis de Sanmaur.
[1] Encore une fois, c'est Guy Beaudoin, neveu de Jerry McCarthy, lecteur plus qu'attentif de cette chronique, qui m'a corrigé et m'a fourni des précisions sur les lieux et les faits évoqués ici. Il a identifié les gens des photos de 1933. Je l'en remercie.