mercredi 19 mars 2008

Michel Côté descendit du train à Sanmaur.

Maghaner son Sauvage !

La Haute-Mauricie dans l’univers romanesque québécois


Page de titre de l'ouvrage de Denault

Écrire sur Sanmaur implique de s’intéresser aux Amérindiens qui l’ont habité, fréquenté et stimulé son économie.


Parmi les rares ouvrages de fiction consultés par Claude Gélinas, dans le cadre de ses recherches sur les Attikameks, il y a ce roman de 1938, MON SAUVAGE, second récit de Laure Berthiaume-Denault, paru à Montréal aux Éditions Bernard Valiquette. Un livre sans grand éclat, à l’intrigue plutôt invraisemblable, qui charrie le lecteur dans un espace physique qui s’étend depuis Ottawa-la-très-tranquille jusqu'à la tête du réservoir Gouin.


Les protagonistes de cette histoire d’amour plutôt simpliste, pour ne pas dire harlequinesque [«h» intentionnel], sont Michel Côté, un Métis originaire de Maniwaki, en Haute-Gatineau, dont le nom algonquin, Pésindawatch [l’accent, très aigu, est bien dans le livre], signifie « Celui qui écoute », et Liliane La Roche [en deux mots, bien sûr], une jolie blonde, orpheline de père et dont la mère est Française et, bien sûr (bis), « femme du monde ».


On (lecteur, lectrice) monte donc à bord du vapeur Wilfrid-Laurier, à Ottawa, pour en débarquer à Montréal, où Michel achève ses études de droit. On retournera dans l’Outaouais, mais sur la rive québécoise, plus précisément dans la vallée de la Gatineau : au lac Blue Sea, à Maniwaki, chez les Algonquins, puis de nouveau à Montréal où, soudainement diplômé, pratique déjà notre avocat, qui compte parmi ses rares clients des Iroquois de Caughnawaga.

On ne manque certes pas d’Amérindiens dans ce récit et chaque groupe a une situation «sociale» différente! Au coeur de l’intrigue apparaîtra donc Sanmaur, en fait Weymontaching, car la sœur de Michel épousera un membre de la réserve de ceux qu’on appelait, jusqu’à récemment, «Têtes de Boule». Le jeune avocat aura aussi à se rendre à La Tuque.


L’auteure n’a sans doute jamais pagayé en Haute-Mauricie. Elle aurait en effet tiré ses descriptions de la région, somme toute sommaires, de ce qu’a pu lui en dire une amie, Marcienne Alie, qui fut institutrice chez les Attikameks, amenée là par l’oblat Guinard. Dans un article paru en 1988, celle-ci livre quelques-uns de ses souvenirs, dont ce séjour qu’elle fit à «Weymontaching».

L’ouvrage de madame Denault reflète bien, je crois, le climat et les idéologies de l’époque de sa conception. Originaire de Maniwaki, elle résidait alors à Ottawa, ville qui, pour certaines gens originaires de la rive québécoise de l’Ottawa River, représentait, jusqu'à tout récemment du moins, une quelconque promotion sociale. Elle se montre d’une condescendance outrancière à l’endroit de ceux et de celles qu’elle appelle « sauvages » (sans majuscule) ou encore «Peaux-Rouges». Il est vrai qu'une décennie ou deux avant la diffusion de son livre, les robes noires qualifiaient encore de BARBARIE (avec la majuscule) les territoires où vivaient les Autochtones. Les oblats, malgré la noirceur de leur froc, furent donc des "Pères blancs" qui diffusèrent leur enseignement en terre septentrionalement américaine...

J'avoue avoir cette tendance à tout classer en "noir" et "en blanc"... Je n'ai guère fréquenté les Soeurs "grises"... sinon lors d'un séjour à l'hôpital Saint-Joseph, dans ma ville d'adoption, La Tuque. Oui, à l'automne 1966, dans cet établissement oeuvraient encore quelques dévouées petites soeurs.

En cherchant une appréciation de MON SAUVAGE, je suis tombé sur une recension de l’ecclésiastique Maurice Lemire, docte historien de la littérature québécoise, brève recension insérée dans le deuxième tome du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, publié à la fin des années 1970. J’ai été fort surpris, compte tenu de l'époque où il rédigea son pensum, de ce que Lemire n’ait pas au moins souligné le caractère condescendant, pour ne pas dire méprisant, voire raciste, des propos de la dame blanche, originaire de Maniwaki, rappelons-le, à l’endroit des Autochtones. Je veux bien croire que l'écrivaine n’ait point été anthropologue ni ethnologue, mais tout de même.

Certes, les œuvres de cette époque qui ont bien vieilli sont rarissimes, car le climat les a mauvaisement érodées. Notre littérature de fiction se cherchait désespérément et une grande dame n’avait pas encore mis au monde le superbe personnage que fut (qu'est demeuré) le Survenant, ce «grand dieu des routes», cet être tolérant, dont elle avait su mettre en valeur le caractère ...sauvage.




Enfer et damnation ! Mon carnet se met à faire des méandres aussi nombreux que ceux de la rivière La Croche… Et dire que je me proposais d’abréger mes élucubrations… Je retournerai à La Loutre dans le prochain épisode de mon carnet, mais en passant par la Mattawin. Sinueux parcours que celui de mon carnet!


NOTES (En sont-ce vraiment?)

J’ai l’impression que l’ouvrage de Denault a dû être publié à compte d’auteur. Dans le cadre de mes recherches sur Jacques Ferron, en 1976, j’avais trouvé, dans le fonds d’archives des éditions de Valiquette, à la Bibliothèque nationale, à Montréal, une lettre de l’éditeur adressée, le 24 juillet 1947, à Myrto Gauthier, 82, rue Saint-Antoine, à La Tuque. Il y accuse réception d’une somme de 600$ pour l’édition de son roman, LA DAME DE SAHIB, lequel sera tiré à 2000 exemplaires en décembre de la même année. Mon exemplaire a appartenu à madame Jean Gauthier. Il s’agit fort probablement du frère de l’auteure, que connaissait bien ma mère qui l’appelait Johnny. Madame Gauthier ne parle pas des Sauvages : elle a situé son intrigue en Égypte, à des milliers de lieues de sa ville natale.

Le tome 3 du DOLQ consacre un article à son unique roman : la notice biographique qui le précède précise qu’elle est la « fille de Charles Gauthier, journaliste, et d’Azilda Couture. » Tiens, tiens ! « AZILDA » : quel hasard ! C’est aussi le prénom de la jeune femme que Jerry McCarthy épousa à La Loutre. La notice nous révèle aussi que madame Gauthier a d’abord travaillé à « la Compagnie de téléphone et de la Consolidated International Paper (La Tuque) », avant de s’installer à Montréal. Le rédacteur de la notice (un assistant de recherche) n’a pas fait sérieusement ses devoirs : la « Consolidated » ? - « … études dans son VILLAGE natal » ? - La Tuque, un village, en 1947 ? Ah! ces saudits littéraires, quand ils se mêlent de toucher à l’histoire ou à la géographie…

Myrto Gauthier fut journaliste à la Radio-Canada à compter de 1965. Je me souviens très bien de ses excellents reportages qu'elle envoyait de l’étranger. Je ne savais pas qu’elle était une Latuquoise. On peut la voir, et surtout l’entendre, à l’occasion d’un excellent reportage de son cru sur l’élection de Margaret Thatcher :
http://archives.radio-canada.ca/c_est_arrive_le/05/03/.

Pour revenir à madame Denault, ceux et celles qui voudraient avoir un exemplaire de son SAUVAGE, ils en trouveront un à 100$, à la petite libraire de Chelsea-sur-Gatineau, à trois kilomètres de chez moi.

L’article tiré des confidences de Marcienne Alie, «Les Indiens de Maniwaki et du Saint-Maurice» a paru dans la revue hulloise Asticou (no 38, juillet 1988, Société d'histoire de l'Outaouais, p. 3-5) et il est accessible en ligne (http://collections.ic.gc.ca/vallee/nations/temoignage.htm). En voici tout de même un extrait :

« Vous verrez parmi les choses que j'ai apportées le livre de Marie-Louise [sic] Berthiaume Denault "Mon Sauvage". J'avais rencontré Mme Denault au Caveau, rue Rideau, alors que j'étudiais la peinture. Nous sommes devenues amies et je suis allée à Maniwaki avec elle à la Réserve. Plusieurs photos du livre sont les miennes, bloquées par l'artiste Tom Wood. Quand nous nous sommes connues, elle a changé un peu son récit, et c'est une Blanche de Maniwaki qui a épousé un homme de Weymontaching. »

J’ai pensé, un instant, intituler mon épisode « Du p’tit blanc pour un Peau-Rouge ». Cela aurait été de mauvais goût, plutôt jaune, je dirais. Celui que j’ai retenu dessert pourtant mal mon propos : j’y annonce une étude littéraire, mais ne livre en fait que quelques humeurs qui tiennent plus ou moins le sentier… Et puis, que de recoupements « oblatiens » et mauriciens dans ce carnet : on aura remarqué, tout au bas de la page de titre de Mon sauvage, le discret «O.M.I.», centre nerveux du tampon de la bibliothèque de l’Université d’Ottawa, du temps où l’institution était tout à fait oblate ! Décidément, je ne serais pas surpris qu'Eugène de Mazenod (1782-1862) vienne faire de la figuration dans mes cauchemars...

vendredi 14 mars 2008

UN DIDEROT MAURICIEN VIT À LA TUQUE


Quand je patauge dans l’incertitude historique, que je m'embourbe dans mes documents, la meilleure chose à faire consiste à passer un coup de fil à La Tuque et à m'adresser à un certain Hervé Tremblay.
L’échange téléphonique doit cependant se dérouler le matin car, l’après-midi, le docte Hervé sort de son home, situé à l'extrémité sud d'une rue qui se termine tout au pied de la montagne, à quelques mètres de la voie ferrée du Canadien National, et se rend dans un restaurant du centre-ville, où il tient cénacle. L'historien reçoit en consultation, accorde des audiences, en même temps qu’il s’occupe à enrichir ses connaissances à même les ressources du milieu.
Sous son chef de patriarche, cet illustre Latuquois a entreposé une impressionnante somme de données sur la Mauricie, un savoir qui a atteint des proportions tout à fait encyclopédiques.

Ainsi, l’autre jour, quand je lui ai parlé de cette « Syrienne » rencontrée à quelques reprises par l'oblat Guinard à Sanmaur, il m'a donné toute une causerie sur Annie Midlige. Ce diable d’homme connaissait déjà cette vendeuse itinérante d’origine libanaise, prit-il le soin de me préciser, qui avait eu en effet, avec des membres de sa famille, des « magasins » à Sanmaur et à Parent, entre autres. Hervé me confiait qu’elle avait même encore de la parenté dans cette dernière localité.
Par la suite, j’ai lu dans l’un des ouvrages de Claude Gélinas qu’Annie Midlige avait également établi des points d’échanges le long de la Gatineau pour y recevoir les trappeurs, se trouvant ainsi à entrer en concurrence avec la Hudson Bay Company, un peu comme Henry Skeene, qui opérait un magasin à La Loutre.
C'est sans doute elle ou sa fille qui tenait le « Jew store » où, le lendemain de son arrivée à Sanmaur, Jerry McCarthy ira « s’habiller » avant d’entreprendre sa longue marche de trois jours dans la neige vers La Loutre. Juive pour l’Irlandais McCarthy, Syrienne pour l’oblat Guinard… Ben difficile d'identifier les origines de l'étranger à cette époque...
Au Québec, jusqu'à ce que l'automobile devienne plus accessible aux jeunes gens et fasse ainsi éclater les frontières des bourgades campagnardes, après la Seconde Guerre mondiale, l'étranger, c'était le gars du village voisin qui s’aventurait à venir reluquer les filles de « ton » patelin !
Dans cette ville terminus que fut La Tuque jusqu’au milieu des années 1960, et que le voyageur en route vers le Lac-Saint-Jean pourra bientôt presque éviter en empruntant une voie de contournement, la préservation du patrimoine architectural ne me semble guère une vertu qu’on pratique. À chaque fois que j’y retourne, il me semble que le cœur de la ville s'est quelque peu ratatiné et que des sbires du sinistre George Bush y ont ajouté de nouvelles succursales de cochoncetés amerloques. Il ne manquerait plus que Oualle-Merde s'y installe à son tour.
Heureusement, Hervé Tremblay, ce Denis Diderot des Haut mauriciens, engrange l’histoire sous toutes ses facettes, toutes ses formes, et la distille en capsules et en causeries. Aussi, pour en apprendre sur la moindre éphéméride qui a pu marquer la Moyenne et la Haute-Mauricie, c’est à lui qu’il faut s’adresser. Le « hic », c’est que ce saudit payen ne veut absolument pas se convertir à la cybernétique et refuse l’ascension dans le cyberespace. Mais il répond au téléphone, c’est toujours ça de pris. Il n'a pas fini de m'enrichir!
Voici une photo de l’honorable (pas du tout au sens parlementaire du terme, loin de là) Hervé, au beau milieu du pont suspendu au-dessus de la Saint-Maurice, à la hauteur de La Tuque, le premier de ce type construit en Amérique du Nord, soutient-il, pointant le nord-est pour indiquer à Micheline Raîche-Roy, l’auteure du cliché, où se trouvait naguère un cimetière amérindien.




Je reviendrai sur ce pont suspendu, vénérable centenaire, car
il fut l'un des premiers lieux de cette ville qui nous attira, mon frère Robert et moi, lorsque nous sommes descendus de Sanmaur, en octobre 1953, et que Maizy, ma mère, eut ordonné à Memile, mon père, de nous greyer de bicycles à ... deux roues. En plus d’être pendant longtemps le seul moyen de traverser la Saint-Maurice en voiture, il a servi à supporter l’immense conduite d’eau en provenance du lac Parker qui, si je ne m'abuse, alimentait en eau potable les installations de la Brown. L'ouvrage est toujours là, à quelques centaines de mètres en amont du barrage d’Hydro-Québec, devenu, je crois, la propriété de la municipalité.
NOTES
Micheline m’a aussi refilé cette photo ancienne de ses géniteurs, Hervé Raîche et Simone Bergeron, prise à l’hiver 1933-1934, un peu avant leur mariage. Sur le précieux document figurent, en arrière-plan, les installations de la Brown sur la Saint-Maurice, en amont de l’usine, la gappe, là où s’accumulaient les billots venus des Hauts avant d'être entassés en piles.

Micheline, qui a des trésors dans ses archives de famille – l’une de ses tantes, Éliane Bergeron, fut la secrétaire du gargantuesque curé-fondateur de La Tuque, Eugène Corbeil – a reçu ce montage diantrement intéressant, œuvre de l'artiste infographique Gaston Gravel, qui nous ramène au pont suspendu de la Brown.




Cette dame Midlige, signale Claude Gélinas, a fait l’objet d’un article dans l’historique magazine de la Baie d’Hudson, le BEAVER. Je reviendrai à ce texte.
Son commerce de Sanmaur a dû être situé tout près de l’embouchure de la rivière Manouane, à cet endroit que les commis de la Hudson Bay appelaient «Manouane Crossing», où semble avoir été érigée la première gare ferroviaire. Quand nous vivions à Sanmaur, il me semble qu’il y avait un magasin juste avant la descente vers le pont flottant et le traversier de la Manouane. C'était peut-être l'établissement de cette veuve libanaise.
La Manouane, c’était tout juste passé l’école et la grotte, au bas d’une petite pente. Aujourd’hui, cette géographie me paraît ridiculement réduite.
La gappe, francisation à la québécoise du terme anglais. Les glossaires ne semblent pas l'avoir recueilli . La Ville de Gatineau a eu la bonne idée de donner ce nom à un boulevard dans les années 1990. C'est ainsi que le Mauricien exilé que je suis peut dire qu'il a travaillé pendant quelques années à la gappe...

vendredi 7 mars 2008

OBEDJIWAN – LA LOUTRE – CHAUDIÈRE

Brochure touristique du Québec. Vers 1940

Il me faudra bien penser à quitter La Loutre et glisser vers la chute Chaudière, formidable obstacle à la navigation sur la Saint-Maurice: j’ai tout de même annoncé un carnet sur Sanmaur! Je pense toutefois avoir bien fait de m’attarder un peu dans ce coin, puisque que l’installation de la Brown Corporation à Sanmaur est liée d’étroite façon à son acquisition de biens et d’immeubles laissés là par la Fraser Brace, une fois que cette dernière eut terminé la construction du barrage Gouin. Jerry McCarthy notera d’ailleurs dans ses éphémérides que le gros entrepreneur en construction avait laissé l’endroit dans un état plutôt lamentable.

Cette dernière compagnie aura en quelque sorte été la fondatrice indirecte de deux agglomérations surgies de deux chantiers de construction.



Les différentes tâches exécutées de Jerry McCarthy, ainsi que ses allées et venues, m’ont été utiles pour avoir une meilleure idée, une vue d’ensemble sur le développement de ce coin.
Il mentionne des noms et des lieux que je retrouverai ailleurs, dans divers documents, entre autres l’importante prose de Claude Gélinas et les passages sur Sanmaur, glanés ici et là, dans mes récentes lectures.

Je voudrais aussi signaler un autre endroit important de l’histoire des Hauts mauriciens : la réserve des Atikamekw d’Obidjuan, où j’étais allé en août 1960, dans le cadre d’une trop longue route scoute qui avait d’abord mené notre groupe de marcheurs forcés au dépôt Chapeau-de-Paille de la Consolidated Bathurst, à la tête de la Mattawin. Me voici en tenue de "routier", à ce dernier endroit, dans l'un des fiefs du roi de la Mauricie, Jean-J. Crête.

Et non, mon béret n'était pas vert, n'était pas celui des pirates amerloques qui se pointeront au Viêt-nam à peine deux ans plus tard... N'empêche qu'il me donnait un air légèrement belliqueux!

L'auteur du présent carnet, au dépôt Chapea de Paille, en août 1960
Je me propose de dresser une liste des résidants de La Loutre à partir des écrits de Jerry McCarthy, liste qui saura sans doute être utile à ceux et à celles qui versent dans la généalogie. Une fois ma liste établie, je passerai un autre coup de fil à John McCarthy pour lui demander de me préciser ce que ces gens fabriquaient dans ce patelin.

Compte tenu du fait que je manque terriblement de temps pour étoffer mes pages de carnet et comme j’ai beaucoup de documentation, je crois que je vais passer en mode capsule. Une façon de le fera sera de parler de bouquins que j’ai épluchés ces derniers temps.

Cette photo du poste de traite de fourrures de la Hudson Bay Company à Obidjuan, n’est pas sans intérêt, car elle nous montre le patron américain de Jerry McCarthy à La Loutre, John H. Carter (au centre), en compagnie d’un certain F. L. Connors (à gauche) et d’Henry Skeene, marchand de fourrures, personnage coloré auquel s’intéresse Gaston Gravel, un précieux collaborateur, qui a longtemps travaillé dans les Hauts mauriciens. C'est en 1912 que la Hudson Bay avait transféré son poste de Kikendatch, réserve alors située tout prêt de l'endroit où sera construit le barrage Gouin et dont les résidants ont toujours été plus nombreux que ceux de Weymontachingue (Wemotaci), réserve créée en 1851. Cette zone sera d'ailleurs inondée par le bassin que formera ledit barrage. Quant à Skeene, Claude Gélinas précise qu'il avait déjà un magasin à La Loutre.

Marie-Christine Boivin et Henry bSKeen, à  La Loutre. (Photo aimablement fournie par Gaston Gravel)
Gaston me précise que Marie-Christine Boivin, l’arrière-grand-mère de sa conjointe, s’était mariée en secondes noces à Skeene et que le couple s’était installé à La Loutre, de l’autre côté du barrage. Il m'a aimablement fourni cette photo devant leur maison, en hiver.

Maie-Christine Boivin et Henry Skeene, à La Loutre. (Photo aimablement fournie par Gaston Gravel)

Et voilà que je trouve dans mes archives cette photo d’un autocar de la Brown, garé devant le grand édifice de la compagnie, lequel loge les bureaux administratifs et un entrepôt. Il avait été érigé, comme l'entrepôt de Sanmaur où travaillait mon père, parallèlement à un des tronçons de la voie ferrée qui fut démantelé à la fin des années 1930.



Je ne saurais toutefois procéder à ce départ sans consigner ici quelques souvenirs puisés dans les écrits de McCarthy. Je ne suis pas tout à fait prêt à partir de La Loutre. J’irai au plus court en glissant dans mon carnet quelques photos illustrant des gens et des événements, auxquelles illustrations j’ajouterai quelques commentaires.

NOTES

Un peu de publicité sur un livre qui devrait intéresser les lecteurs de ce carnet : le dernier ouvrage de Sylvain Gingras, L’Épopée de la forêt, que commentait brièvement le chroniqueur Gilles-Francoeur du Devoir. Le monde est toujours aussi petit : Francoeur fut un de mes confrères de classe lors de mon séjour obligé au Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, au siècle dernier.



Mon chèque devrait être rendu à Saint-Raymond-de-Portneuf et Sylvain Gingras devrait m’expédier son essai et son DVD bientôt. Son livre précédent, Les Pionniers de la forêt, est un vrai trésor sur la vie dans les chantiers québécois, même s’il ne parle pas de Sanmaur. Ses photos m’ont montré que le village de mon enfance était minuscule à côté d’autres comme Windigo, Clova, Casey, Oskélanéo.

samedi 1 mars 2008

ATIKAMEKW DES HAUTS MAURICIENS

Recension minimaliste de deux précieux ouvrages sur les Amérindiens du Haut-Saint-Maurice




Mémoires de maîtrise et thèses de doctorat constituent trop souvent des sommes indigestes qui ne sauraient convaincre le profane à les dévorer. Aussi le lectorat des doctorants [1] et des doctorantes s'avère-t-il fort réduit. Il y d’abord le directeur de l’étudiant, bien sûr; ensuite, les membres du jury, qui s’attaqueront au candidat au moment de la soutenance de ladite thèse (mais je ne suis pas sûr que toutes ces doctes personnes poussent toujours le devoir jusqu’à approfondir la lecture de cette chose manuscrite qui fait partie de leur description de tâche), après y avoir débusqué quelques poux qui serviront de prétextes à leurs interventions, et, finalement, parfois, la mère de la future docteure ou du futur maître. Du moins, ma mère a toujours « soutenu » qu’elle avait lu ma brique. J’aime à le croire… Et j'aurai bien aimé qu'elle assistât (oh ! ce subjonctif imparfait en voie de disparition...) à ma soutenance de thèse) par un bel après-midi de juillet, dans un minuscule local de l'université autoproclâmée "canadienne", celle qui, actuellement, fait la chasse àux clients et clientes en terre québécoise à grands coups de panneaux. Je m'y conduisis comme un véritable avocat de la défense: la thèse fut défendue âprement, quasiment page par page. Ce fut un bel exercice. Cela valait le détour.

***

Propos préliminaires pour préciser à mon lectorat que j’ai lu, avec un immense emballement et un plaisir évident, deux essais anthropologiques aux titres évocateurs – La gestion de l’étranger et Entre l’assommoir et le godendart [2] – de Claude Gélinas sur les Atikamekw de la Haute-Mauricie, que mon fils, dans un élan de générosité spontanée a empruntés pour moi à la bibliothèque Morisset de l’Université d’Ottawa, geste élégant qui constituait une première dans sa carrière de bacheliérisant. Depuis, il a récidivé.



L’anthropologue Gélinas est un fameux chercheur qui s’est tapé un dépouillement systématique d’une panoplie de fonds d’archives, entre autres, ceux de la Hudson Bay Company, d’ouvrages et d’articles, et qui a su présenter ses découvertes de fort agréable façon. Une bibliographie étoffée complète chaque tome. Puis, j’y ai trouvé une pratique qui n’a pas manqué de me faire plaisir, puisque je m’y adonne moi-même depuis des décennies, et de façon plutôt intempestive : l'introduction massive de notes infrapaginales [3].



Avant ma lecture des deux bouquins de Gélinas, j’avais trouvé, dans un de ses articles, cette constatation qui venait en quelque sorte cautionner mes intentions de carnetier.
« Pour des raisons qu'il faudra un jour cerner », écrit Gélinas, « la Haute-Mauricie n'a jamais réellement suscité l'intérêt des chercheurs, et ce, dans pratiquement tous les domaines. On ne connaît que très partiellement sa géomorphologie. L'essentiel de sa faune reste à être inventoriée. Les études ethnographiques d'envergure sont rares et datent, pour plusieurs, du début du siècle. Enfin, l'histoire de la région reste à écrire, bien que des défrichages aient déjà été entrepris, surtout en ce qui a trait au passé des groupes autochtones.[4]»

Quand nous habitions à Sanmaur, on appelait « Têtes-de-boule » les Amérindiens de la réserve Wemotaci. J’y reviendrai. C’était tout de même un nom plus facile à transcrire. Voici ce que « prescrit » le Grand Dictionnaire terminologique de l’auguste Office de la langue française du Québec: note que je guillemette!


« L'Institut linguistique Atikamekw-Wasihakan du Conseil de la nation Atikamekw a rejeté au début des années 1970 le nom français Tête-de-Boule (du nom d'un poisson, cyprinidé : Pimephales promelas) pour prendre comme nom de peuple l'équivalent endogène de ce nom, celui d'Atikamekw (poisson blanc) ainsi orthographié. Cette forme est le plus souvent utilisée dans les textes administratifs en français et en anglais.
De son côté, conformément au principe de l'intégration phonétique, graphique et grammaticale des formes étrangères empruntées en français, l'Office québécois de la langue française privilégie la forme francisée Attikamek en évitant la finale kw, inusitée en français. La forme retenue, nom et adjectif, conserve la même graphie au féminin et au masculin et prend un s au pluriel. Exemples : un Attikamek, une Attikamek, les Attikameks, des travailleurs attikameks, une fête attikamek, des écoles attikameks.
La forme francisée Atticamègue (ou Attikamègue), plus rarement attestée aujourd'hui, demeure une forme historique utile mais ne peut être privilégiée puisqu'elle pourrait désigner, selon certains spécialistes, un autre groupe amérindien que celui des Attikameks. »

Si vous trouvez le propos corsé, passez voir ce que suggère TERMIUM, la banque de données du Bureau de la traduction, à Ottawa, sur ce que l'on doit faire en cas de pluriel ou de féminisation de noms autochtones : il y a autant de règles d’orthographe et d’accord qu’il y a de Premiers Peuples…

Photo  gracieusement fournie par Patrick McCarthy, le fils de Lorrain
Gélinas mentionne, à quelques reprises, le nom d’Henry Skeene, un des compétiteurs de la HBC qui s’était installé à La Loutre pour y faire la traite fourrures avec les Atikameks. Il pose ici, en compagnie de Lorrain, le fils aîné de Jerry McCarthy.



NOTES

1. Doctorant : néologisme bizarre, qui vogue dans le sillage de cette tournure qui veut qu'un participe présent accède, au moindre prétexte euphémisant, à la stature du nominatif, d'un substantif! Ainsi sourd est devenu un malentendant; un aveugle, un non-voyant… Faudrait-il également qualifier de « maîtrisants » et de « maîtrisantes » les pauvres hères bûchant à bras raccourci sur leur maîtrise?

2. La gestion de l'étranger. Les Atikamekw et la présence eurocanadienne en Haute-Mauricie, 1760-1870. Sillery: Éditions du Septentrion, 2000.
Entre l'assommoir et le godendart. Les Atikamekw et la conquête du Moyen-Nord québécois, 1870-1940. Sillery: Éditions du Septentrion, 2003.
Je ne suis ni ethnologue, ni anthropologue, mais le « littéraire » que je suis aurait aimé trouver, dans ces deux essais de Gélinas, qui se lisent d’ailleurs comme des romans, excusez le cliché, un index des patronymes, des toponymes et des ethnonymes. M’enfin, ce que j’ai pu y glaner comme renseignements pertinents à ma propre recherche de l’histoire des Hauts mauriciens compense amplement l’absence de cet outil de recherches.
La lecture des deux savants ouvrages m’a ancré dans cette certitude qu’il me faudra m’attarder à l’histoire de la traite des fourrures et à celle des Amérindiens du Haut Saint-Maurice pour en apprendre davantage sur la géographique de mon enfance.

On peut lire, en ligne, quelques pages de La gestion de l’étranger
http://books.google.com/books?id=eIQCuRGVilcC&pg=PA75&lpg=PA75&dq=weymontachie+%2B+guitard&source=web&ots=3lZTZonm2y&sig=k0HPAAro6kwtYgmuVyBKUK8iAr4#PPA74,M1.

3. On m’a même décerné un titre fort pompeux pour ma production massive de ces articulets explicatifs, titre confirmé par un diplôme : http://www.ecrivain.net/ferron/index.cfm?p=5_Ferronnerie/cantin_diplome.htm).

4. Citation tirée de «La traite des fourrures en Haute-Mauricie avant 1831. Concurrence, stratégies commerciales et petits profits». http://www.erudit.org/revue/haf/1998/v51/n3/005441ar.html
Norman Clermont, Ma femme, ma hache et mon couteau croche. Deux siècles d'histoire à Weymontachie (Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1977); Jean Baribeau, "Les missions sauvages du Haut Saint-Maurice au XIXe siècle", mémoire de maîtrise (théologie), Université du Québec à Trois-Rivières, 1978); Raynald Parent, "Histoire des Amérindiens, du Saint-Maurice jusqu'au Labrador: de la préhistoire à 1760", thèse de doctorat (histoire), Université Laval, 1985); Bernard Allaire, "Une économie en déséquilibre: les autochtones du Saint-Maurice, de la traite des fourrures à la construction des barrages hydroélectriques", mémoire de maîtrise (histoire), Université Laval, 1987); Maurice Ratelle, Contexte historique de la localisation des Attikameks et des Montagnais de 1760 à nos jours (Québec, Ministère de l'Énergie et des Ressources, 1987); Claude Gélinas, «Identité et histoire des autochtones de la Haute-Mauricie aux XVIIe et XVIIIe siècles: un regard sur le débat Attikamègues - Têtes de Boule», dans L'éveilleur et l'ambassadeur. Essais archéologiques et ethnohistoriques en hommage à Charles A. Martin, sous la direction de Roland Tremblay (coll. « Paléo-Québec » 27, Recherches amérindiennes au Québec, Montréal, 1998).