mercredi 19 mars 2008

Michel Côté descendit du train à Sanmaur.

Maghaner son Sauvage !

La Haute-Mauricie dans l’univers romanesque québécois


Page de titre de l'ouvrage de Denault

Écrire sur Sanmaur implique de s’intéresser aux Amérindiens qui l’ont habité, fréquenté et stimulé son économie.


Parmi les rares ouvrages de fiction consultés par Claude Gélinas, dans le cadre de ses recherches sur les Attikameks, il y a ce roman de 1938, MON SAUVAGE, second récit de Laure Berthiaume-Denault, paru à Montréal aux Éditions Bernard Valiquette. Un livre sans grand éclat, à l’intrigue plutôt invraisemblable, qui charrie le lecteur dans un espace physique qui s’étend depuis Ottawa-la-très-tranquille jusqu'à la tête du réservoir Gouin.


Les protagonistes de cette histoire d’amour plutôt simpliste, pour ne pas dire harlequinesque [«h» intentionnel], sont Michel Côté, un Métis originaire de Maniwaki, en Haute-Gatineau, dont le nom algonquin, Pésindawatch [l’accent, très aigu, est bien dans le livre], signifie « Celui qui écoute », et Liliane La Roche [en deux mots, bien sûr], une jolie blonde, orpheline de père et dont la mère est Française et, bien sûr (bis), « femme du monde ».


On (lecteur, lectrice) monte donc à bord du vapeur Wilfrid-Laurier, à Ottawa, pour en débarquer à Montréal, où Michel achève ses études de droit. On retournera dans l’Outaouais, mais sur la rive québécoise, plus précisément dans la vallée de la Gatineau : au lac Blue Sea, à Maniwaki, chez les Algonquins, puis de nouveau à Montréal où, soudainement diplômé, pratique déjà notre avocat, qui compte parmi ses rares clients des Iroquois de Caughnawaga.

On ne manque certes pas d’Amérindiens dans ce récit et chaque groupe a une situation «sociale» différente! Au coeur de l’intrigue apparaîtra donc Sanmaur, en fait Weymontaching, car la sœur de Michel épousera un membre de la réserve de ceux qu’on appelait, jusqu’à récemment, «Têtes de Boule». Le jeune avocat aura aussi à se rendre à La Tuque.


L’auteure n’a sans doute jamais pagayé en Haute-Mauricie. Elle aurait en effet tiré ses descriptions de la région, somme toute sommaires, de ce qu’a pu lui en dire une amie, Marcienne Alie, qui fut institutrice chez les Attikameks, amenée là par l’oblat Guinard. Dans un article paru en 1988, celle-ci livre quelques-uns de ses souvenirs, dont ce séjour qu’elle fit à «Weymontaching».

L’ouvrage de madame Denault reflète bien, je crois, le climat et les idéologies de l’époque de sa conception. Originaire de Maniwaki, elle résidait alors à Ottawa, ville qui, pour certaines gens originaires de la rive québécoise de l’Ottawa River, représentait, jusqu'à tout récemment du moins, une quelconque promotion sociale. Elle se montre d’une condescendance outrancière à l’endroit de ceux et de celles qu’elle appelle « sauvages » (sans majuscule) ou encore «Peaux-Rouges». Il est vrai qu'une décennie ou deux avant la diffusion de son livre, les robes noires qualifiaient encore de BARBARIE (avec la majuscule) les territoires où vivaient les Autochtones. Les oblats, malgré la noirceur de leur froc, furent donc des "Pères blancs" qui diffusèrent leur enseignement en terre septentrionalement américaine...

J'avoue avoir cette tendance à tout classer en "noir" et "en blanc"... Je n'ai guère fréquenté les Soeurs "grises"... sinon lors d'un séjour à l'hôpital Saint-Joseph, dans ma ville d'adoption, La Tuque. Oui, à l'automne 1966, dans cet établissement oeuvraient encore quelques dévouées petites soeurs.

En cherchant une appréciation de MON SAUVAGE, je suis tombé sur une recension de l’ecclésiastique Maurice Lemire, docte historien de la littérature québécoise, brève recension insérée dans le deuxième tome du Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, publié à la fin des années 1970. J’ai été fort surpris, compte tenu de l'époque où il rédigea son pensum, de ce que Lemire n’ait pas au moins souligné le caractère condescendant, pour ne pas dire méprisant, voire raciste, des propos de la dame blanche, originaire de Maniwaki, rappelons-le, à l’endroit des Autochtones. Je veux bien croire que l'écrivaine n’ait point été anthropologue ni ethnologue, mais tout de même.

Certes, les œuvres de cette époque qui ont bien vieilli sont rarissimes, car le climat les a mauvaisement érodées. Notre littérature de fiction se cherchait désespérément et une grande dame n’avait pas encore mis au monde le superbe personnage que fut (qu'est demeuré) le Survenant, ce «grand dieu des routes», cet être tolérant, dont elle avait su mettre en valeur le caractère ...sauvage.




Enfer et damnation ! Mon carnet se met à faire des méandres aussi nombreux que ceux de la rivière La Croche… Et dire que je me proposais d’abréger mes élucubrations… Je retournerai à La Loutre dans le prochain épisode de mon carnet, mais en passant par la Mattawin. Sinueux parcours que celui de mon carnet!


NOTES (En sont-ce vraiment?)

J’ai l’impression que l’ouvrage de Denault a dû être publié à compte d’auteur. Dans le cadre de mes recherches sur Jacques Ferron, en 1976, j’avais trouvé, dans le fonds d’archives des éditions de Valiquette, à la Bibliothèque nationale, à Montréal, une lettre de l’éditeur adressée, le 24 juillet 1947, à Myrto Gauthier, 82, rue Saint-Antoine, à La Tuque. Il y accuse réception d’une somme de 600$ pour l’édition de son roman, LA DAME DE SAHIB, lequel sera tiré à 2000 exemplaires en décembre de la même année. Mon exemplaire a appartenu à madame Jean Gauthier. Il s’agit fort probablement du frère de l’auteure, que connaissait bien ma mère qui l’appelait Johnny. Madame Gauthier ne parle pas des Sauvages : elle a situé son intrigue en Égypte, à des milliers de lieues de sa ville natale.

Le tome 3 du DOLQ consacre un article à son unique roman : la notice biographique qui le précède précise qu’elle est la « fille de Charles Gauthier, journaliste, et d’Azilda Couture. » Tiens, tiens ! « AZILDA » : quel hasard ! C’est aussi le prénom de la jeune femme que Jerry McCarthy épousa à La Loutre. La notice nous révèle aussi que madame Gauthier a d’abord travaillé à « la Compagnie de téléphone et de la Consolidated International Paper (La Tuque) », avant de s’installer à Montréal. Le rédacteur de la notice (un assistant de recherche) n’a pas fait sérieusement ses devoirs : la « Consolidated » ? - « … études dans son VILLAGE natal » ? - La Tuque, un village, en 1947 ? Ah! ces saudits littéraires, quand ils se mêlent de toucher à l’histoire ou à la géographie…

Myrto Gauthier fut journaliste à la Radio-Canada à compter de 1965. Je me souviens très bien de ses excellents reportages qu'elle envoyait de l’étranger. Je ne savais pas qu’elle était une Latuquoise. On peut la voir, et surtout l’entendre, à l’occasion d’un excellent reportage de son cru sur l’élection de Margaret Thatcher :
http://archives.radio-canada.ca/c_est_arrive_le/05/03/.

Pour revenir à madame Denault, ceux et celles qui voudraient avoir un exemplaire de son SAUVAGE, ils en trouveront un à 100$, à la petite libraire de Chelsea-sur-Gatineau, à trois kilomètres de chez moi.

L’article tiré des confidences de Marcienne Alie, «Les Indiens de Maniwaki et du Saint-Maurice» a paru dans la revue hulloise Asticou (no 38, juillet 1988, Société d'histoire de l'Outaouais, p. 3-5) et il est accessible en ligne (http://collections.ic.gc.ca/vallee/nations/temoignage.htm). En voici tout de même un extrait :

« Vous verrez parmi les choses que j'ai apportées le livre de Marie-Louise [sic] Berthiaume Denault "Mon Sauvage". J'avais rencontré Mme Denault au Caveau, rue Rideau, alors que j'étudiais la peinture. Nous sommes devenues amies et je suis allée à Maniwaki avec elle à la Réserve. Plusieurs photos du livre sont les miennes, bloquées par l'artiste Tom Wood. Quand nous nous sommes connues, elle a changé un peu son récit, et c'est une Blanche de Maniwaki qui a épousé un homme de Weymontaching. »

J’ai pensé, un instant, intituler mon épisode « Du p’tit blanc pour un Peau-Rouge ». Cela aurait été de mauvais goût, plutôt jaune, je dirais. Celui que j’ai retenu dessert pourtant mal mon propos : j’y annonce une étude littéraire, mais ne livre en fait que quelques humeurs qui tiennent plus ou moins le sentier… Et puis, que de recoupements « oblatiens » et mauriciens dans ce carnet : on aura remarqué, tout au bas de la page de titre de Mon sauvage, le discret «O.M.I.», centre nerveux du tampon de la bibliothèque de l’Université d’Ottawa, du temps où l’institution était tout à fait oblate ! Décidément, je ne serais pas surpris qu'Eugène de Mazenod (1782-1862) vienne faire de la figuration dans mes cauchemars...