samedi 12 septembre 2009

Parfois lilliputienne, cette province mauricienne :

de Windigo à Trois-Rivières

en passant par La Tuque


[51]


«Monsieur le cartographe, vous ne m’avez pas compris !

Comment donc, mon Révérend ?

Je voulais les régions de la Province, la Gaspésie,

l’Abitibi, le Saguenay, etc.

Ce ne sont pas des régions, mon Révérend. Vous employez là un

terme français dans un sens qui ne l’est pas. Ce ne

sont pas des régions, ce sont des provinces.

Des provinces dans la Province.

La confusion ne vient pas de celles-là, mon Révérend.»


Jacques Ferron, «Les provinces», Contes du pays incertain, 1963.


Merci à Carolyne Nadeau et à Philip Valois [1], de l’Imprimerie commerciale (La Tuque), qui m’ont permis de reproduire des extraits de L’AMI, deuxième génération. Une fois de plus le pont se fait entre eux époques, entre deux réalités sociogéographiques.


Deux noms, aperçus dans ces pages de la reproduction de la seconde livraison de L’AMI (qui en comptaient quatre), cette petite publication prétendument produite à Windigo, mais conçue, le croirais-je, et imprimée à La Tuque, par Paul Forrest, son éditeur, sous le pseudonyme de B.L.U., originaire des alentours de Trois-Rivières, descendu du Yukon pour fonder ladite imprimerie et, comme ferrailleur, lancer de petits journaux, commentateur davantage préoccupé par le versant politique de sa ville d’adoption – sa descente vers le Sud-Est qui expliquerait la tournure plutôt franglaise de certaines phrases de l’éditorial qu’il consacre aux bienfaits et avantages du bilinguisme dans le «plusse meilleur pays du monde»–, deux noms, dis-je, m’ont d’abord interpellé, pour utiliser un terme à la mode, et m’ont rappelé mes courts stages d’enseignement pratique, à l’époque où j’étais étudiant en pédagogie à l’École Normale Maurice L. Duplessis, rue Laviolette-en-Haut, à Trois-Rivières : les noms de L. J. Bissonnette et d’H. P. Massicotte.


Pas facile d’identifier toutes ces gens sur la photo du haut. Il y a cependant lieu de penser qu’il s’y trouve sûrement des Beaupré, des Doré, des Ricard, qui emménageront à Sanmaur en 1948, quand la Brown Corporation aura terminé la construction des logis qui accueilleront leur famille puisque ce village sera appelé à supplanter Windigo comme dépôt principal de la compagnie en Haute-Mauricie.


L’apprenti prof : d’abord, trois semaines à l’école Jacques-Buteux

Il m’aura fallu «travailler» un peu Henri-Paul McGee, le directeur des stages de l’École, pour qu’il acceptât de me laisser jouer au titulaire par intérim de la classe que madame Lionel Bissonnette, épouse d’un confrère de travail de mon père Émile, à la CIP Woodland’s, me confiait, en mai 1968. Le hic, selon McGee, c’est que cette sympathique classe de septième année, à l’école Jacques-Buteux, se composait uniquement de fillettes.

C’est mon père qui avait parlé à Bissonnette, un ancien de Windigo et de Sanmaur, de ma quête d’une classe de primaire où je pourrais mettre mes acquisitions psychopédagogiques en pratique et celui-ci en avait causé à sa légitime. Comme quoi, les contacts, cela peut rapporter.


Classe de Méthode «C», 1958-1959, Séminaire Saint-Joseph, Trois-Rivières.

Les profs : Tharcisius Lecoq (un Français de l’Hexagone : mathématiques), Paul Provencher (géographie; aussi redoutable préfet de discipline de l’institution), Henri-Paul Massicotte titulaire de la classe (littérature française, latin et grec), Gabriel Tessier (histoire), Georges Lemire (anglais). On aura noté les vestons au bleu de la marine, coupe «double breasted», à écusson du STR, sauf celui de Tit-Jean Béland, de Saint-Paulin, seconde rangée; quant au nœud papillon de Laurent Gélinas, il aura sûrement fait l’objet d’une dispense papale puisqu’il le portera pour les photos subséquentes. Pour ce qui est du costaud, à droite, sans écusson, l’air serein, c’est un nouvel arrivant, probablement viré d’un autre collège, c’est Jean Fleury, de Yamachiche, qui, dans les années 1970, sera un animateur important du monde théâtral de Montréal. Le carnetier est tout souriant, au centre. Malgré l’excellence de très bons professeurs, c’est cette année-là que, petit prétentieux que j’étais, je commençai à verser dans la cancritude certaine…


…puis trois autres à Champagnat

La toute première fois qu’il s’est pointé le faciès dans le cadre de la porte de la classe de Méthode du titulaire Massicotte, en septembre 1958, Georges Lemire (il prononçait son prénom à l’anglaise, «Djorje»), que nous appelions «Take a rest», sûrement un militaire sous des hardes de civil élégant, m’a rappelé, par sa rigidité, ses manières, l’insipide X***, pseudo professeur de gymnastique de mes classes du primaire, sans doute, lui aussi, un ancien instructeur militaire davantage habitué à japper qu’à articuler son mince vocabulaire, plus exactement un vulgaire pion, un être plus près de la débilité pédagogique (on engageait n’importe qui pour ce genre de cours d’éducation physique), un type inepte et inapte (allitération tautologique, oui, je sais…), que je connus à l’École Saint-Zéphirin (il y a d’ailleurs un entrefilet sur une équipe de l’É.S.S.Z. dans cette reproduction de L’AMI), avant mon entrée au collège trifluvien, et que, malheureusement, je retrouverai sur mon chemin dans le cadre de mes trois semaines comme stagiaire à l’école secondaire Champagnat, où l’on m’avait confié la classe de dame Dolorès Beaumont-Thivierge, la 8e année «A».


La deuxième journée de mon stage, voilà que X*** m’arrête dans le corridor et me «demande» de me faire couper les cheveux et de ne plus garer, rue Desbiens, devant l’entrée principale de l’école, le bolide de mon jeune frère, coursier motorisé à la fougue discrète, un Roadrunner chryslérien, tapageur et fringuant. Je lui avais demandé de m’expliquer en quoi le fait de stationner cette voiture devant l’école pouvait avoir, selon son opinion, «une mauvaise influence sur les élèves». Je ne me souviens point de sa réponse…

.

Donc, ce faux sergent-major qui, pour d’obscures raisons, sans doute appuyés par ses incompétents semblables, avait grimpé, un à un, tel un usurier du barreau, les échelons hiérarchiques escaladés d’ordinaire par les cadres scolaires, avait essuyé de ma part un «Non !» catégorique à ses deux commandements déguisés. Étonné par ma réponse, brève mais poliment énoncée, le pauvre hère, qui, en plus d’être lui-même un demeuré, un manieur de bâtonnet plutôt que d’arguments logiques, en était resté à sa perception surie de l’autorité des années 1940, ne m’en avait plus reparlé. On était quand même en 1969, que diable, à l’ère des contestations étudiantes efficaces : en Basse-Mauricie, nous, les normaliens et les normaliennes activistes, nous arrivions à paralyser notre école dite «normale», pompeusement rebaptisée Centre de formation des Maîtres de la Mauricie en moins de deux! Même que le «plus grand quotidien francophone d’Amérique (à l’époque…) déléguait un correspondant pour assister à leurs manifs.

J’aurai l’occasion d’évoquer aussi le comportement d’un autre supposé instituteur, venu lui du monde des militaires, pour enseigner aux Amérindiens de Manouane et aux Blancs de Sanmaur au tout début des années 1950. Il avait, lui itou, sa baguette de sergent instructeur…


Le carnetier, coupe capillaire SQ, s’exprime… sans micro ! La Presse, janvier 1969.


Dans cette 8e année de Champagnat, au demeurant bien tranquille, reflet flagrant de la qualité de ses jeunes bipèdes, ne formaient-ils pas le groupe «A», et non le «E» (pauvre titulaire qui héritait de ces élèves qu’on supposait moins doués…), occupait le pupitre le plus près de la porte un certain Brian A***, que je connaissais bien puisque j’étais l’amoureux de sa soeur aînée. Pourquoi évoquer cette brillante frimousse à lunettes ? C’est que l’article de Bissonnette sur cette rencontre sportive entre hockeyeurs de Windigo et de Rapide-Blanc (voir l’article reproduit plus bas) mentionne deux de ses oncles ! En effet, l’un des gardiens de but, était le frère de sa mère et l’un des entraineurs, le beau-frère de son père ! Branches solides de son arbre généalogique. Univers lilliputien !


Souvenir d’une modeste réception à l’occasion de la visite à Sanmaur de Georges-Léon Pelletier, évêque de Trois-Rivières, homme moins dangereux en chaire que derrière le volant d’une auto. Dans l’ordre habituel, Bill Wolstenholme, l’oblat Léopold Lacasse, curé résident de l’endroit, Pelletier, Gaudias Dubé, Paul Rainville, curé de La Croche et grand ami du ci-devant oblat, et Reginald Viner, dont je reparlerai, car son nom figure à quelques reprises dans The Brown Bulletin. À gauche, le profil fragmenté de ma tante Juanita Lee.

La scène a dû être saisie au club social de Sanmaur, probablement vers 1953 ou 1954. Faste festin : on n’avait pas lésiné sur le ketchup ! Et sans doute avait-on évacué le policier de service de la «police des liqueurs» pour que le vin soit accessible au palais de ces gens ou alors était-il attablé hors de la portée de l’objectif du photographe.


D’autres noms de ce compte-rendu de Bissonnette me sont familiers. D’abord celui d’Albert Ricard, le père de Jean-Pierre, le gripette qui rigole sur la photo de l’école de Sanmaur, prise en 1949, artéfact déjà inclus dans ces pages, qui circule abondamment sur le Ouaibe et dans les colloques d’archivistes et sur lequel je reviendrai. Le second, celui de Gaudias Dubé, originaire, comme mes parents, de Saint-Romuald-d’Etchemin, et qui sera le surintendant de la Brown à Sanmaur. De fait, beaucoup d’employés de la compagnie impliqués dans cette rencontre sportive se retrouveront à Sanmaur, où se fera, en janvier 1947, l’inauguration du spacieux édifice abritant l’administration quasi complète du personnel de la division forestière de la Brown. Un troisième, celui d’Oscar Doré dont la famille habitera le même logis que la mienne à Sanmaur. Et puis, ce William (Bill) Wolstenholme, qui sera le patron de la Woodlands, boulevard Ducharme, à La Tuque.


Je me souviens aussi de Viatime Normandin, alors curé de La Croche, puis de La Bostonnais et de qui certaines soutanes, infatués goupillonneurs, ont pu parler avec mépris. Preuve que, même dans la soutanerie, il y une hiérarchie solidement érigée et qu’on ne s’y épargne pas les petites vacheries. Sur ce sujet, on lira avec ravissement le magnifique roman de Gabrielle Poulin, Cogne la caboche (Outremont, VLB, collection «Courant»; 10, 1990), qui illustre intelligemment ce système de classes au sein des communautés dites religieuses…

J’ai sauté de la poule au baudet (saut provoqué par une pub de l’épicerie ferronnerie d’Émile Beaudet, rue Saint-Antoine, insérée dans l’AMI) dans ce commentaire sur l’article du Grand Bisse (on l’appelait ainsi à la Woodlands) : je poursuis donc et reviens à mon sympathique titulaire de Méthode au Séminaire Saint-Joseph des Bas mauriciens.

Henri-Paul Massicotte


Cet ecclésiastique, qui a célébré la messe de minuit à la Trenche, au «pays des Windigos» (j’aime bien l’expression : mais qui pouvaient bien être ces Windigos mauriciens ? ), le 25 décembre 1946, et dont la photo en pied apparaît à la une de la seconde livraison de L’AMI, m’est encore plus familier. Et voici pourquoi.


Septembre 1958. Rentrée au Séminaire Saint-Joseph. La classe de Méthode «C», troisième année du cours classique. Le titulaire, Henri-Paul Massicotte, nous accueille, nous, ces flows en blézeurre marine dobullebresse et cravate rouge grenat, un peu imbus d’eux-mêmes, car la plupart, l’année précédente, avaient été astreints, sous la dictatoriale mais efficace férule du titulaire de la classe d’Éléments latins «B», le séculier Édouard Beaubien, soutane passée à l’amidon de la stricte et imperturbable discipline intellectuelle (son père était détective), véritable dynamo d’une centrale électrique de la Saint-Maurice, à se taper les deux premières années du cours classique en 10 mois, se farcissant ainsi l’intégrale du Précis de grammaire, de Grévisse, l’Analyse grammaticale et logique, de Calvet et Chompret et les deux premiers tomes de la grammaire latine de Roger Gal : pas moins.


Massicotte, que nous surnommions «La Pioche», répétant bêtement une pratique déjà établie par les anciens du collège, ce que nius pouvions être débiles, était un chic type. Posé, accueillant, bienveillant, d’un grand savoir et d’une énorme patience avec ces jeunots, 14 ans, qui avaient «sauté» une année et qui, imbus d »eux-mêmes, se croyaient sans doute bien plus futés que leurs confrères des deux autres classes de Méthode, des vieux de 15 ans...


Quand, dans les années 1960, mon ancien titulaire sera nommé curé d’une troisième paroisse que le diocèse voudra ériger à La Tuque, Saint-Hubert, et que sa tentative d’y faire construire un temple sera noyée par une féroce vague d’opposition soulevée par un groupe de citoyens et de citoyennes qui ne sont guère convaincus de sa pertinence, il saisira vite l’inutilité d’une affrontement. Sage attitude de sa part, c’était dans sa nature et il n’ignorait pas le climat instauré par la Révolution tranquille. D’ailleurs, aujourd’hui, dans la Reine de la Haute-Mauricie, ne s’apprête-t-on pas à transformer le plus récent de ses trois temples existants (quatre en comptant la défunte chapelle du complexe amérindien) en une bibliothèque publique. Massicotte avait compris qu’au moment même où des centaines de ses confrères de travail échangeaient leur col romain contre un nœud Windsor, papillon ou plat, et s’efforçaient de se fondre dans la faune des notables québécois contents d’accueillir dans ses rangs ses fous de Dieu désoutanés, il ne fallait pas trop insister pour faire dans la construction ecclésiastique. Depuis une trentaine d’années, un peu partout au pays du Québec, ces édifices démesurément imposants, érigés avec le maigre pécule de pauvres cathos pratiquants, trouvent de nouvelles vocations…


C’est ainsi que le curé d’un saint Hubert criblé de fléchettes citadines dut se résoudre à célébrer la messe dans le gymnase de l’école Jacques-Buteux [2].


Parlant de démesure, attendez de voir la splendeur de la décoration de l’église de Sanmaur, ultra modeste desserte diocésaine sous le directorat de Léopold Lacasse. La construction du temple sanmauresque, entreprise sous Édouard Meilleur, connaîtra son apogée sous son successeur, un fin lobbyiste qui n’a jamais craint de laisser de côté son vœu de … pauvreté. J’en ferai l’objet d’un épisode bien illustré dans ce carnet.

Février 1954, devant l’église de La Croche. Le curé Paul Rainville prend en photo son collègue de Sanmaur, Léopold Lacasse, lequel a amené avec lui, dans un taxi latuquois, le 3131 (Diamond Taxi ?) la smala des Lee-Cantin du 348C de la rue Tessier: Émile et Maizy, Jean et Pierre. Mais où était donc Robert ?


Une p’tite dernière : c’est promis !


Une autre grotte presque totalement mariale , tout près du port d’Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord, juillet 2008.

Photo : Pierre Cantin.


[1] Sur cette photo de l’été 1956, Philip Valois, à la gauche de sa mère, Constance Forrest, déguste une «liqueur» embouteillée par Gaudreault Breuvages Enrg, tandis que moi, derrière mon père, Émile Cantin, et son éternelle cigarette et son occasionnelle petite Dow**, distribuée, ces années-là, par Régent Tremblay, j‘empoigne une Émile Fontaine. Cette scène dominicale, composition de ma mère, Maizy Lee, se déroulait au Relais 4 H, à une vingtaine de kilomètres sur la 19 Sud, devenue la 155. Ah ! les beaux dimanches de notre enfance : je ne me rappelle qu’on n’était rarement dérangé par le tintamarre des semi-remorques en ce temps-là. La Tuque était une ville terminus et cette journée de repos avait encore un certain sens : point de fardiers chargés de «deux par quatre»

se croisant inutilement le long de la Saint-Maurice.

** Référence bibinesque : un lecteur attentif a noté que j’avais utilisé le logo (multiplié) de la bière 50, brassée par Labatt, naguère société canadienne, en guise de numération de mon carnet.


[2]

Sur le site de FACEBOOK, il y a une page lancée par deux jeunes Latuquois, intitulée I COME FROM LA TUQUE. Elle compte présentement plus de 1300 membres, statistique incroyable ! Parmi les photos du site, quelques-unes de l’école Jacques-Buteux, transformée temporairement en lieu de culte…

L’hyperlien : http://www.facebook.com/home.php#/group.php?gid=2603445355&ref=ts


* * * *

P. S.

«… les salauds ne s’amendent que le temps de leur peur…»

Daniel Pennac, La Petite Marchande de prose (Paris, Gallimard, 1990)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour monsieur Cantin
Je vient souvent voir les photos que vous mettez dans votre blog .
Pour ce qui est de la photo avec les pretre et les trois dames en face du magasin ...C est plus chez O St Jean en bas communement appelé a Manawan .
C est ce que me disait un membre de la communautée de Wemotaci .
Voila Merci encore pour le voyage dans le temps