dimanche 20 janvier 2008

DES CANOQUES EN HAUTE-MAURICIE


Propos d’inspiration culinaire d’un petit dimanche matin




Donc, le patron de Jeremiah McCarthy, à La Loutre, s’appelait John H. Carter, un Américain originaire du Maine, qui, en mai 1919, avait remplacé le précédent gérant, S.L. DeCarteret.

Il me faudra vérifier auprès de John, le fils cadet de McCarthy, avec qui j’ai eu une agréable conversation sur ses années passées en Haute-Mauricie, et à qui je me propose de causer plus longuement, quelles étaient les fonctions exactes de Carter au dépôt de la Brown Corporation du barrage Gouin. J’imagine qu’il y avait le titre de surintendant et qu’il devait être bigrement important pour que, de son vivant, un bateau portât son nom. C’est celui qui fut livré par rail à Sanmaur le 26 avril 1928.



La poupe de cette carcasse fluviale, déposée à Sanmaur, qu’on peut distinguer sur cette photo de Juanita Lee, la plus jeune des sœurs de ma mère, serait-elle celle du J.H. Carter ? La scène, quasi champêtre, a sans doute été croquée vers 1949.



Mais avant de revenir à La Loutre, lectrice, lecteur, prenez le temps, malgré le caractère forestier de la langue, de zieuter cet éclairant article, tiré de l’ouvrage lexicologique de Hugh Rawson, Wicked Words, sur un mot que nous avons entendu assez souvent.



Lisez maintenant trois répliques, extraites de la page 414 de la relation de voyage en Laurentie de cet Américain cultivé, à l’esprit ouvert, qu’était L. Morris Longstreth.
Un mot s’en détachera : Canucks…



Messieurs, pas de bavardage à table !


Cet interdiction m’amène à penser que Carter pourrait bien incarner le prototype d’un chargé de mission, "honorable" membre d’une classe supérieure, leader voué à l'encadrement d'êtres inférieurs, ici, en l’occurrence, des bûcherons, par surcroît des Canadiens français, à qui il attribue, indistinctement, le défaut d’être de foutus bavards (garrulous : j’ai dû me précipiter dans mon Collins-Robert** pour en connaître le sens exact), comme si, parmi eux, ne pouvaient se terrer quelques irréductibles taciturnes… Si le qualificatif n'est pas utilisé ici de façon tout à fait méprisante, il demeure tout de même condescendant.

Au sujet du commentaire spontané d’Alice, «Mais ce ne sont pas des femmes!», Simone de Beauvoir n’aurait sûrement pas manqué de souligner qu’il illustrait, de façon tangible, l’aliénation des femmes, qu'il constituait un exemple de l’acceptation de leur supposée condition inférieure. En associant «bavardage» à un discours féminin, c’est en effet dire son insignifiance. Carter percevait, dans de possibles échanges des bûcherons, des «propos de bonnes femmes», activité qui aurait risqué de retarder le retour de ces êtres à la «production» de pitounes. Un bon travailleur ne cause pas : il peine à gagner son sel pour assurer le profit de quelqu’un d’autre. Le sel, d’ailleurs, n’est pas gratuit à la cookerie. La loi de la «compagnie»!***

Diantre et juste ciel!, nous ne sommes pas encore montés à bord de cette galère qui devrait descendre la Saint-Maurice pour nous mener jusqu’à Sanmaur! Peut-être même jusqu’à La Tuque, en passant par Windigo, où séjournèrent pendant quelque temps des Sanmauriens notoires (au sens mélioratif du terme, entendons-nous bien…) qui trouveront place dans de prochains carnets.


** Et la jaquette de mon dictionnaire indique bien l’amerloquitude grammaticale de l’édition bilingue : on y a majusculé à tour de lettres le sous-titre, influence maladive de l’anglais sur le français! Comme notre "francophile" Société Radio-Canada, qui, dans ses émissions supposément consacrées à la chanson francophone, trouve le moyen de glisser des « standards » de la chanson américaine, version « jazz », cela fait plus culturel… Z’avez entendu souvent Vigneault, Desjardins, Ferré, Forestier, Leyrac à la Cibici, dans le cadre normal d’émissions régulières? Moi, pas ! Sauf certains samedis soirs, quand on fait de la chanson québécoise un objet de curiosité, comme la musique créole ou louisianaise ou tombouctienne...

*** « Anglais, Français, Allemands et Portugais », écrit Louis Hamelin, dans sa chronique ‘Littérature’ (Le Devoir, 19 et 20 janvier 2008, p. F4), « ont dépecé l’Afrique avec les meilleures intentions du monde. La supériorité de la civilisation blanche allait de soi, donc l’imposer à l’indigène était une forme subtile d’altruisme dont cette bienveillante domination se dédommagera en pillant les richesses locales. »

Ches les Amérindiens, l'oblat a précédé le papetier, mais suivait le traiteur de poils... Eh ! carnetier, tout n'est pas noir et blanc... Nuance ton propos; lâche du lest; desserre les dents!

NOTES
J’ai commis une petite annotation sur canoque, la francisation est de l’Admirable Docteur Jacques Ferron (majuscules volontairement respectueuses). On peut l’aller lire sur le somptueux site que consacre Luc Gauvreau à l’écrivain national: http://www.ecrivain.net/ferron/. La note sur canoque est greffée au premier épisode d’un feuilleton politico-sociologique de Ferron, « Le Salut de l’Irlande », paru d’abord en 1966 et en 1967, feuilleton que Luc et moi sommes à « éditer » sur la toile.

À propos de ce canoque, Ferron a écrit quelque part – il faudra que Luc, ce missionnaire littéraire (il a parcouru autant de kilomètres dans l’oeuvre du fondateur du Parti Rhinocéros que l’oblat Joseph-Étienne Guinard dans les forêts boréales du Québec) – m’en donne la référence exacte : « Le mot canuck, précise Ferron, témoigne de la proximité de la mer. Il ne s'en est pas éloigné pour remonter vers le Nord et ce fut sans doute au Nouveau-Brunswick qu'il est devenu frog, tout aussi amphibie, mais nettement plus injurieux. »

L’ouvrage de Rawson porte un sous-titre on ne peut plus dix-septième siècle : A treasury of curses, insults, put-downs and other formerly unprintable terms from Anglo-Saxon times to the present (New York, Crown Publishers, Inc., 1989, 435 pages). Une lecture enrichissante, même pour un francophone!

Un emprunt récent du terme, quelques lignes de la belle chanson-hommage de Richard Séguin sur Jack (Ti-Jean) Kerouac :
« Dans ta mémoire,
Y'a des tiroirs
D'amours brisées,
D'canucks fuckés. »

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